lundi 13 avril 2009

Panique à Green Hill

publié sur Les Impromptus Littéraires


Depuis qu'il avait ouvert ses mirettes un soir de juin, il y a bien trente années de ça, Amadou avait toujours été captivé par le rayonnement jaune-orangé du feu de camp, d'abord pour le réconfort de sa chaleur mais davantage pour sa lumière dansante qui donnait aux corps accroupis des airs de fantômes tremblants.
Aujourd'hui toute cette lumière, il la retrouvait chaque nuit accompagnée d'étincelles dans les yeux de Tara juste avant qu'elle ne s'offre à lui, la croupe tendue comme un calice doré.

Une fois de plus, Amadou aligna méthodiquement ses tubes de roseau devant lui sous le regard interloqué des gosses qui ne comprenaient pas qu'un adulte puisse passer des jours à jouer ainsi.
Ils allaient voir tous ces chacals qui ricanaient sur son passage depuis qu'il avait annoncé son projet... ils allaient en voir de toutes les couleurs! On ne l'appelait pas Amadou pour rien, lui qui semblait être né avec des pierres de quartz dans les mains; depuis l'éruption magique du volcan Yasur qui avait semé la terreur sur toute l'île de Tanna, il avait compris quel serait son destin, ce pourquoi il avait grandi sur cette terre aride et inhospitalière; il allait créer son oeuvre de feux multicolores et d'explosions assourdissantes, un spectacle que les siens et même leurs proches ennemis n'oublieraient plus jamais après l'avoir vu!

Tara croyait en lui et l'accompagnait souvent dans les expériences secrètes qu'il menait à l'écart du groupe à la nuit tombante. Accroupie à distance raisonnable de ces engins magiques, elle l'avait vu progresser, se brûler les doigts aux tisons rougeoyants, tordre en gromelant la mêche rebelle de fibre graisseuse, pester quand le tube de roseau faisait long feu... puis de timides lueurs avaient pris leur envol par dessus les grands arbres en sifflant comme le milan et elle avait tapé dans ses mains tellement tout ça était merveilleux!
Elle se précipitait vers son dieu, voulait s'offrir encore mais il la repoussait, en proie à une excitation bien plus bestiale, mélangeant à nouveau des pincées de salpêtre et de soufre à la terre rouge du sol.

Il était loin d'être satisfait même si Tara était subjuguée... ça devait aller plus haut, péter plus fort et il bourrait fortement la terre au bout du roseau à s'en écorcher les doigts. Pour les couleurs, il avait testé tout ce que la nature pouvait offrir dans son sol mais il n'obtenait que des rouges et des jaunes alors qu'il rêvait de faire jaillir le bleu lumineux du corail, le vert des grands iguanes et toutes ces nuances qui irisaient ses rêves et teintaient ses nuits agitées.
Quand il eut découvert l'effet surprenant du mica et qu'il se fut résigné à ces seules couleurs or, sang et blanc; quand il eut manqué d'incendier toute la canopée et dépassé la cime des plus grands eucalyptus d'au moins cinq jets de fronde... il décida qu'il était fin prêt pour montrer son oeuvre.

D'étranges nuages masquaient la lune ce soir là, le vent était brusquement tombé et Amadou le vit comme un signe; alors d'un geste il avait envoyé Tara battre le rappel de la tribu.
Peu lui importaient les sarcasmes et ceux qui bouderaient son spectacle, il était prêt à assumer la gloire et tous les honneurs qui lui seraient rendus.
Comme il vérifiait pour la centième fois son dispositif dressé sur la colline, la foule des curieux s'était rassemblée et Tara vint près de lui, riant de toutes ses dents; la petite étincelle était là dans ses yeux... alors il prit les pierres de quartz et lui tendit pour la première fois. Elle ne souriait plus, attentive à leurs deux respirations oppressées: elle frappa les pierres de quartz contre la poudre d'amadou, et à cette seconde un grondement terrible jeta la tribu à terre dans un désordre indescriptible.
Les femelles hurlaient en levant les yeux vers l'immense colonne incandescente qui inondait le ciel ! Yasur s'était réveillé.

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