dimanche 31 mai 2009

Notes de poussière


publié sur les défis du samedi  29-05-09

 

C'est quoi ce tempo d'enfer? rien à voir avec l'intro, et puis on n'est pas tous en place! Ah c'est mon coeur qui fait ça...
J'ose un coup d'oeil par un des trous de l'épais rideau de scène en tentant de maitriser le tamtam qui martèle mes tempes; Ouf! ma guitare basse est là, ridicule et coincée entre les énormes baffles blancs et derrière le matos un monde de ténèbres respire d'une clameur étrange. Je transpire comme au sauna et une odeur de poussière ancestrale et omniprésente me donne la nausée.
Une odeur de coulisses, de décors, de tentures, de loges exigües, de planchers trop cirés... combien l'ont respirée avant nous dans ce mythique Olympia?
Pourtant la répète s'est bien passée il y a deux heures, malgré Mickey qui peinait à poser sa voix, les retours mal placés qui jouent du Larsen et cette impression insupportable qu'on ne va jamais m'entendre.
Sur le vieil orgue Hammond qu'on croirait né avec la scène, l'organiste prend son pied comme un fou et me noie dans des basses terrifiantes.
"Filez moi plus de retour, merde!".
Les techniciens invisibles derrière leurs consoles doivent bien rigoler; leur job c'est de régler la balance des têtes d'affiche, pas celle de 'Mickey and friends'.
Qu'est ce qu'on fout là? On était si bien dans notre ferme retapée de l'Aube, à s'éclater...musique de  jour, musique de nuit, crinières au vent, patchouly et filles pas farouches. Et puis la nouvelle est tombée comme l'enfer d'Hendrix sur Woodstock "Vous faites la première partie de Slade dans quatre jours à Paris".

Le temps de charger le fourgon jusqu'à la gueule et on file sur Paname, le coeur au bord des lèvres pour rencontrer Mickey, celui qu'on va accompagner. Pour lui, Mickey Bronx c'est un single chez Polydor qui passe sur les platines du Gibus et pour nous, trois morceaux à apprendre vite fait! Tiens, la brune là, on dirait Nana Mouskouri... "T'occupes ! Oui, c'est elle".
Un vieux studio de répète dans Paris, une forte odeur d'avant-guerre qui me prend au nez et me file des frissons. Le gardien-concierge-ex-preneur-de-son est aussi d'avant-guerre et bavard comme un gardien-concierge-ex-preneur-de-son... "O.K. papy, on jure de pas toucher au matos de Johnny! Qu'est ce qu'on ferait d'un saxo dans le groupe?  Oui, Noir c'est Noir...on a entendu parler, laisse nous bosser!". Si on l'écoute, on va bientôt évoquer Mistinguett. C'est fou ce qu'on peut faire comme bruit en plein milieu de la capitale sans que ça ait l'air de déranger; le faubourg Poissonnière en a vu d'autres!

"Ca va être à vous les gars!"
"Merde! Déjà!" Enfin c'est pas trop tôt et je voudrais aussi ne pas y aller, rester l'oeil collé au rideau, en spectateur et me nourrir encore de cette poussière de stars. Dire qu'ici j'ai vu les Beatles depuis le haut des gradins... Arrêter de penser pour calmer ce tamtam dans mon crâne ! La tunique mauve frangée à la Roger Daltrey me fait l'effet d'une seconde peau et j'aurais pas dû mettre des escarpins aussi hauts... trop tard, et puis je n'avais rien d'autre à mettre.
Un coup d'oeil à Bobock qui me parait détendu même s'il sait que sa capricieuse Flying V va se désaccorder dans une minute; moi je sais qu'il va assurer comme une bête juste à côté de moi et ça me porte.
Les autres m'entourent, on est combien déjà? avec l'organiste recruté il y a trois jours et les deux batteurs... pourquoi deux batteurs? Qui a eu cette idée de génie? On ne m'entendra pas, c'est certain. 
Le rideau dérape lentement sur ses rails dans un bruit de machinerie couvert par la clameur montante. Qu'est ce qu'ils crient? "Slade! Slade!". Heureusement je ne vois pas plus loin que le premier rang tellement ce soleil nous aveugle.
Désolé c'est pas Slade, c'est nous "Mickey... Bronx!" et ça n'a pas l'air de leur faire plaisir.
On m'a poussé ou bien je suis arrivé là tout seul? En tout cas mon cher manche est bien là, mes doigts retrouvent les cordes rondes et lisses prêtes à vibrer comme moi. Le tamtam a cessé dans ma tête ou bien je n'entends plus rien, mais si, je reconnais l'intro et les effluves tourbillonnantes de l'orgue Hammond. Respire, mec, à pleins poumons! T'es bien vivant!
Quoi qu'il en soit ces instants resteront gravés à jamais, je le sais, tout comme l'antique plancher poussiéreux, et si j'ai oublié chaque note de cette soirée magique, l'odeur de l'olympe est toujours là pour me le rappeler.     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire