samedi 21 novembre 2009

Narcisse, Alter et Go

publié sur DéfiDuSamedi sur le thème: Miroir.
Pour une consigne sobre, c'est une consigne sobre... difficile de faire plus sobre.
Moi qui ne le suis pas, je me suis jeté à l'eau pour cette fois.


Après avoir méticuleusement soigné son appât rance, Narcisse repousse un peu plus loin le bouchon sur le ruban miroitant du fleuve en se focalisant sur ses vibrations; il y a forcément du poisson sous la surface trop polie pour être nette!
Narcisse fredonne pour s'offrir du courage: "Allez brillez Mirror, vous asseoir à ma table. Il fait si froid dehors que je claque de dent..."
C'est vrai qu'il caille, un froid à faire pâlir un Berthillon et qui le glace jusqu'aux eaux, mais il résiste en verre et contre toux, parce qu'il le vaut bien.
"Psyché.. Psyché.. Psyché!" Le nez aux nues dans l'éther il éternue, par trois fois risquant malgré sa raideur et comme Vercingetorix de perdre sa gaule.
L'autre jour il avait même failli emmêler la ligne de partage des eaux sous le regard courroucé des Dieux :" Si tu nous brouilles l'écoute, Narcisse... tu subiras cette contrepétrie".
Malgré la rime, il ne peut rentrer bredouille (sans poichon, point de chalut) alors que la partie s'éternise, longue comme un jour sans tain.

Si ce froid mortel continue, à ne pas mettre un Conti nu, avant longtemps il laissera sa peau sur la berge et sans ses gants il gamberge: "on écrira plus tard ci-gît Narcisse, Reflets éternels".
Pourquoi gésir quand il serait si bien au chaud à vivre sa vie par procuration devant son poste de rétrovision, à regarder le patinage... Nelson et chandelle-au-rôt, ou à feuilleter son téléscope.
Mais les Dieux, dans leur sagesse lui ôtent bien vite cette envie: "Méfie toi Narcisse, du miroir aux alouettes, tu finiras Desperate, gavé de cacahuètes!"
Narcisse se résigne, trépigne sur sa ligne, guettant le moindre signe... mais pourquoi tant de igne?

Et s'il baisse les bras d'autres viendront à sa place, les Dieux l'ont tonné d'une voix forte: "Qui va à la pêche perd son esche..." et la montagne glacée a renvoyé: "...et se retrouve avant leurre dans la dèche".
Narcisse en tombe sur sa berge, à une lettre près d'une catastrophe: d'habitude le glacier des Beaux Sons est plus futé dans ses renvois... Echo serait-elle devenue dure de la feuille?
Grec bien avant Nikos, Narcisse en connait un rayon et n'a qu'un but dans la vie, aller se faire voir chez les siens.

Au diable le bouchon, la gaule et les poissons,
à quoi sert un beau nez transformé en glaçon?

Mais pour mieux réfléchir il faut d'abord fléchir...
c'est ce que fait la gaule traînée par un silure
entraînant le pêcheur et sa triste figure.
O fleuve, o beau miroir, veux-tu bien m'affranchir?
Est-ce moi le plus beau, malgré mes engelures?
Désolé Narcissus, c'est encore le silure.
Vaincu par un poisson, il disparait sous l'eau
dans le reflet béant de son alter-ego.



* Petit jeu: trouver la quinzaine de mots (parfois déformés) évoquant le thème du miroir *
 




samedi 14 novembre 2009

Agence Ventraterre


Inspiré du texte publié sur DéfiDuSamedi sur le thème:
Où, nus, allongés sur le dos, nos deux héros* discourent de la forme des nuages, de la caresse du soleil sur la peau, des petites bêtes qui peuplent la lande et du plaisir, tandis qu’à l’horizon, l’adversité tisse ses noirs desseins.



"Tu sais Vera que t'as eu une sacrée bonne idée de choisir cette agence de voyages"
"Quand j'ai vu la promo: soleil assuré, sol fertile, compost garanti sans pesticides et pH neutre, j'y suis allée ventre à terre!"
"ventre à terre... comme le nom de l'agence Ventraterre?"
"Oui c'est ça, c'est ceux qui font dix pour cent de remise aux ingénieurs du sol"
"Qu'est ce qu'on est bien là, Vera..."
"Tu l'as dit! Si j'avais su qu'on pourrait se mettre à poil ici, j'aurais perdu quelques anneaux avant de venir"
"Tais-toi donc, profite du beau temps, Vera. Transpire, tout ce qu'on a à perdre ici c'est du mucus; et puis t'as qu'à t'étirer un peu et on verra rien"
"T'as bien raison, transpirons, en rentrant on va épater plus d'une galerie!"
"Regarde-moi cette colonie de termites pas tubulaires qui débarque, y sont au moins soixante, si c'est pas malheureux"
"Tu verras qu'un jour c'est eux qui feront la loi sur terre... et même dessous. Ah on vit une drôle d'époque"
"Et Vera! Si on s'inscrivait pour la séance d'aérobie?"
"D'abord ici, on dit aérobic"
"Ah bon? aérobic... comme lombric?"
"Chutt! Voilà le charançon de plage qui vient vers nous"
"Mesdames, puis-je vous concocter un petit verre?"
"Tssii... t'entends Vera? un p'tit ver, Tssii... avec une paille et deux cocons?" 
"Arrête! T'es lourde!"
"Tssii... Hé Vera, j'en ai une autr' marrante, attends... Garçon, auriez-vous des timbres pour compost? Hi Hi"  


vendredi 13 novembre 2009

TREIZE



Ce matin, Gonzague a posé treize fois le pied droit par terre avant d'enfiler ses mules. "On n'est jamais trop prudent" souffla t-il à Madame en gagnant la cuisine à tâtons, les yeux plus que fermés, là où trônait le calendrier des Postes.
Il finit par le trouver et le retourna avec un soupir de soulagement: maintenant il pouvait ouvrir les paupières sans trop de risques.
Tout semblait calme pour l'instant, d'autant plus qu'il avait multiplié les précautions depuis quelques jours; la salière était remisée à la cave ainsi que les couteaux attachés en fagot pour éviter qu'ils ne se croisent. Lorsqu'il avait jeté tous les parapluies de la maison, Madame avait soupiré mais elle s'était habituée à sa paraskevidékatriaphobie et après tout, ce n'était qu'une mauvaise journée à passer, enfin la troisième cette année!!
Elle avait bien tenté de protester quand il avait teint le chat en blanc, mais il avait su trouver les mots pour la convaincre; et puis il avait promis de teindre à nouveau le chat quand tout serait fini d'autant que le chat commençait à s'habituer à ce traitement. Du coup elle avait accepté de descendre tous ses flacons de parfum à la cave tout comme leurs vêtements de couleur verte qu'elle gardait toujours groupés pour faciliter les déménagements annuels.

Gonzague eut un sursaut violent en direction de la corbeille de pain... puis se dégonfla bruyamment comme un ballon crevé; pendant une fraction de seconde, il avait cru voir la baguette de pain retournée à l'envers, comme le boulanger la présentait au bourreau sous l'Ancien Régime! Il se signa et se leva lentement pour aller prendre l'air.
Dehors tout était calme, peut-être trop calme, alors les deux mains dans les poches, il tripota ses pattes de lapin puis croisa les doigts à s'en faire mal; sur le pignon de la maison, la guirlande de fers à cheval rivée de mille clous, luisait sous le pâle soleil de novembre.
Le voisin d'en face le salua d'un signe de tête, encombré d'une échelle métallique, comme si c'était un jour pour bricoler avec une échelle!
Comme le bricoleur suicidaire déployait l'arme fatale et se glissait inconsciemment dessous, Gonzague ferma les yeux à nouveau; dans un instant il entendrait crier et tous les voisins sortis pour lui porter assistance formeraient un attroupement avant que ne résonne la sirène des secours... les gars du Samu auraient ce regard désabusé empreint de fatalité: "Quelle idée d'habiter au treize".

Comme rien ne s'était produit depuis d'interminables minutes, Gonzague risqua un oeil puis ouvrit largement les deux; perché à trois mètres de hauteur, le voisin sifflotait tel un merle, comme pour le narguer.
Gonzague transpirait abondamment malgré la fraîcheur de l'automne; il regretta qu'on ait dérangé le Samu pour rien, ceux-ci allaient être furieux!!
Il entendait déjà la sirène au bout de la rue, de plus en plus fort, à en avoir mal aux oreilles mais le véhicule n'apparaissait toujours pas.
Par quel tour de magie avait-on pu dépêcher la sirène sans le véhicule?
Gonzague réalisa alors que c'étaient les sirènes du village, mais pourquoi hurlaient-elles à midi un vendredi au lieu du mercredi habituel? Tout ça n'était pas normal.
Pris d'un doute angoissant, il se précipita vers la maison, bousculant le chat blanc qu'il ne reconnut pas et atterrit au pied du téléviseur; comme il se débattait avec la télécommande il y eut un cri terrible derrière lui, le cri de Madame:"Attention! Il est réglé sur la chaîne parlementaire! La treize!!".
"On est foutus
" marmonna t'il en pressant sur la chaine régionale, pourtant l'image du présentateur des news apparut d'abord nette puis de plus en plus floue, et Gonzague s'évanouit tout à fait.
"Mesdames et messieurs, Bonjour! Nous sommes le mercredi 11 novembre