jeudi 23 décembre 2010

La bouffarde de la mère Noël


C'est bientôt Noël. Alors comment ne pas me remémorer tous ces cadeaux du passé, ceux que bien des jaloux qualifient de babioles quand celui qui les a reçus écrase encore aujourd'hui une larme d'émoi rien que d'y penser et ne peut résister au plaisir de vous faire partager son émotion
 


 
Elle n'avait eu aucun mal à me convaincre et, abandonnant ma femme à ses emplettes de Noël je la suivis sans hésiter dans ce qu'elle appelait son petit atelier.
C'était un bric-à-brac joyeux et indescriptible, ce qui m'évitera d'en dire plus.
La mère Noël avait prit l'objet brut sans faire de chichi et en un tournemain, faisant naître un volume inattendu, elle en dégagea une forme intéressante avant que j'aie pu formuler le moindre désir.
J'aurais voulu en découvrir toutes les étapes, connaître ses secrets mais on n'interrompt pas une artiste inspirée... j'appris tout au plus entre deux grognements qu'elle tenait son art de sa grand-mère qui le tenait de plusieurs générations jusqu'à cette aïeule qui avait parait-il pimenté l'ordinaire d'une grande partie des troupes napoléoniennes.
A cette évocation je me redressai fièrement... l'entreprise était en bonnes mains!
Je me serais volontiers assis pour calmer une certaine raideur sciatique persistante mais dans la position où je me tenais je pouvais admirer toute sa dextérité, mesurer la précision de ses gestes et l'ardeur qu'elle y mettait.

Penchée sur l'ouvrage, elle travaillait l'objet inlassablement avec cette amusante mimique qu'ont les écoliers quand ils tirent la langue alors qu'arrivés au bout de la ligne, ils contemplent leurs pleins et déliés en redoutant que la plume dérape ou que l'encre sèche...
Alors que, persuadé que l'oeuvre venait d'aboutir j'allais la remercier chaleureusement, elle eut encore le temps - cet instant béni qu'ont les grands artistes - d'ajouter une fioriture du plus bel effet, quelque figure de style entre le bouton de rose et la couronne de glands qui donnait à l'objet son caractère unique.
D'une main experte elle pressa sur le frein et brandit l'objet en pleine lumière, le regard empli de fierté et même d'une certaine suffisance.
Le résultat était au delà de mes espérances et à cet instant je ne regrettai pas d'avoir convenu du prix par avance, convaincu que d'autres s'en seraient tiré pour plus cher.
C'est à cet instant que la porte s'ouvrit brusquement sur un "''Ah tu es là!''" que je connaissais trop bien.

Oui j'étais là, l'objet à la main et j'en conclus qu'il plaisait tout autant à ma femme car elle n'eut pas un seul regard vers l'artiste qui s'essuyait les doigts pour empocher son dû.
Depuis ce jour l'oeuvre jurassienne trône sur la cheminée et si elle n'a jamais été fumée, je lui trouve un petit air culotté... quoiqu'en dise mon épouse. 
 

lundi 13 décembre 2010

La dinde était froide

 
La Bavure s'apprêtait à découper la dinde de son légendaire coup de patte chirurgical sous le regard intéressé des convives quand le grelot du vieux téléphone en bakélite grésilla au fond du corridor.
A l'autre bout du fil puisqu'il y avait encore un fil se tenait la voix de Ouatson.
"Quoi d'neuf docteur" beugla La Bavure pour couvrir la bruyante impatience de ses invités.
"Humm, inspecteur, je crois bien que le schizophrène a encore frappé..."
"Et pourquoi vos skis en frêne auraient ils dérapé, Ouatson?"
"Heu, inspecteur vous avez toujours ce vieux téléphone en bakélite?"
"ça va, ça va Ouatson! Si on vous l'demande vous répondrez que l'père Noël s'en occupe... Alors?"
"Heu, inspecteur, je crois que l'aliéné de la semaine dernière a remis ça"
"Non, pas ce soir!"
"Pourquoi ne pas s'asseoir, inspecteur?"
La Bavure interrogea car c'était son métier, le combiné de bakélite noire; ce soir tout allait de travers, alors il s'assit tandis que Ouatson lui nasillait force détails.
"Les témoins sont formels, ils ont croisé le meurtrier à dix neuf heures trente précises, à l'heure où passe l'internat des apprentis potiers... vous savez, ceux qui chantonnent toujours:
Hâlons enfants de la poterie
le tour de Gloire est à rivets
Hongres gnous de la terre amie
l'étang d'art cinglant est gelé.
Entendez-vous..."
"Non pas bien Ouatson, mais vous m'raconterez tout ça dans un instant. Où êtes-vous?"
"Au pied du corps, inspecteur. Enfin, on sait plus très bien où sont les pieds..."
"Vous êtes où, bon sang?"
"A Courant sur Gelée, inspecteur"
"Je connais pas mais j'arrive!"
"Mais je déconnais pas, inspecteur"
"Comprend rien... mais j'arrive"



 
 
Ouatson avait sa tronche des mauvais jours: "Je serai bientôt au chômage! Pas besoin d'autopsie, le schizo nous a mâché le travail, inspecteur"
La Bavure se pencha vers ce qui avait dû être un corps de femme.
Dans ces cas-là, les bons inspecteurs ne manquaient jamais de grommeler en enjambant, aussi La Bavure l'enjamba t il en grommelant: "Encore une blonde...".
La dinde était froide et la sienne devait l'être aussi. Avec un peu de chance il resterait de la farce et des marrons.
 
 
L'original de cette dinde a été déposé en chambre froide sur le site des Impromptus Littéraires depuis le 13 décembre 2010

dimanche 28 novembre 2010

Calembours et bigoudis

En 1999 Bashung recevait une victoire de la musique pour le superbe "La nuit je mens".
Les Impromptus Littéraires s'en souviennent... et moi aussi à ma façon
 
La nuit je mens je m'engourdis
je m'enracine au matelas
tu m'entortilles et tu me dis
"Viens par ici" mais je suis las.

La nuit je mens je m'enlaidis
à te faire peur mais toi tu ris
tu m'encourages aux interdits
à toutes tes bizarreries.

La nuit je mens je m'endurcis
je suis glacé jusqu'aux orteils
tu m'ensorcelles et c'est pareil
je vis ma nuit en autarcie.

La nuit je mens je m'enrichis
je rêve aux millions du loto
tu m'enregistres, quel gâchis!
c'est toi le foutu numéro.

La nuit je mens je m'entrevois
dans ton regard à claire-voie
tu m'encanailles mais l'ennui
c'est mon défaut je mens la nuit.

Un jour viendra, je te le dis
nos nuits seront comme nos jours
tu quitteras tes bigoudis
et j'oublierai mes calembours.
 

 

 

lundi 22 novembre 2010

La machine à couillonner

Un matin - mais était-ce un matin -, il fallut bien se rendre à l'évidence : le temps avait bel et bien disparu.

Quand tout le monde ou presque se fut rendu à l'Eve y danse, la dernière guinguette encore ouverte dans le canton, le préfet prit la parole pour la rendre aussitôt: "Boudiou! Je vous donne ma parole que nous allons bien vite trouver une solution à ce fâcheux contre-temps".
La dernière fois qu'il avait dit ça, c'était quand notre fontaine municipale s'était tarie mais j'étais trop jeune pour m'en souvenir et le vieux Paniole n'avait pas son pareil pour en parler.... non, pas son pareil !

Vint le tour des questions et chacun tour à tour de faire le tour de la question.
Un garçon vacher voyait le mal en pis et jurait mort aux vaches tandis que les moissonneurs eux voyaient le mal en épis.
Monsieur Papillon l'horloger et son éternelle mauvaise foi s'étaient abstenus de venir, prétextant qu'ils n'avaient pas le temps et qu'ils donneraient leur avis en temps utile.
Un jeune instituteur fit justement remarquer que maintenant, nous avions tout le temps pour y réfléchir sauf que lui était jeune et l'un des rares à réfléchir.
Le clerc de notaire pour qui le temps n'était qu'argent tripotait sa montre dans l'espoir de voir retrotter sa trotteuse et déclara que dorénavant il faudrait gagner du temps.
Les optimistes scandaient que de tout temps on avait toujours eu le temps et qu'il allait revenir d'avant longtemps, ce qui ne rassura personne.
Un estrangié venu des calanques grecques ou un pays comme ça osa même avancer qu'il fallait relativiser le problème mais un coup de tonnerre l'interrompit.

"Qui a bien pu tuer le temps?"
La voix forte du 'gardian' avait raisonné résonné dans le troquet comme une plombe sur la grosse cloche d'un campanile mais personne ne s'avisa de répondre, ignorant qu'il existât une date d'ouverture de la chasse au temps.
Peut-être n'avait-il pas tout à fait disparu et l'idée d'un mi-temps commença même à circuler dans une assistance fébrile et prête à toutes les concessions. Les initiatives les plus folles fusaient de toutes parts: laisser du temps au temps, chercher lanterneja (midi à quatorze heures) et bien d'autres galéjades encore.

Comme le vieux Saturnin se levait le brouhaha s'éteint en soupir de lassitude; à le voir péniblement ouvrir la bouche, chacun comprit qu'il allait prendre son temps mais après tout c'était le sien.
"Depuis des lustres..." commença t-il "j'ai dans ma remise une machine à remonter que m'avait laissé en gage un certain Wells... un excentrique à qui j'avais prêté ma mule mais qui n'est jamais revenu".
"Le vieux fou radote, on n'est pas sortis de la guinguette!" ironisa un impatient.
"Alors si le coeur vous en dit de la remonter..." termina t-il en se rasseyant "je l'échange volontiers pour une paire de mules".

Le soir même - mais était-ce le soir - il fallut bien quitter l'Eve y danse et le troc eut lieu: un couillon reçut un tas de planches vermoulues et le vieux Saturnin une paire d'espadrilles... 
 
Publié aux Impromptus Littéraires
 

samedi 20 novembre 2010

Guantanuméro

Quand les Défis Du Samedi m'ont proposé de parler de mon trésor, j'ai hésité... d'abord parce que c'est le seul que j'ai jamais eu et que celui-là, Brutus et moi on a dû le garder pendant cinq ans!
Aujourd'hui on est contents d'être revenus à la maison, alors je peux en parler.



Il m'est tombé dessus sans crier "Gare!" ou bien je dois être un peu dur de la feuille.
C'est Brutus mon malinois qui est venu me dire comme ça:"Y a un type collé à la porte".
Sans trop réfléchir je lui ai lancé "Rapporte"...
Et ce qu'il m'a rapporté s'appelait Jesus mais il prononçait Rhésus comme tous les facteurs, car il était facteur et un peu portugais aussi.
D'habitude il m'en ramenait des petits mais celui là était gras, limite adipeux.

"Vous avez gagné un T....." réussit-il à bredouiller.
J'avais jamais rien gagné dans ma vie et j'allais lui signifier son erreur à ma façon quand il a osé insister; des fois les facteurs ça insiste.
"Vous zôtres vous êtés tous pareils! Vous dîtes qué ça n'arrive qu'aux zôtres et quand c'est votre tour vous z'y croyez pas!"
"Doux Jesus, et comment on aurait gagné ça, hein Brutus?"
Pas facile de répondre la gueule pleine, alors Brutus n'a rien dit.

 

Pour un facteur il avait l'air d'en connaître un rayon et Brutus l'a laissé continuer : "Des fois c'est au grattaze, des fois au tiraze... pour vous zé sais pas"
"Et il est comment notre T.....?"
Alors il a sorti un vieux bouquin qui puait le chafouin comme tous les vieux bouquins; je voyais bien que ça plaisait pas à Brutus mais Rhésus a commencé à bouquiner à haute voix.
"Voyons voir, j'ai une île au T.... mais faut creuser soi-même ou encore un T..... de guerre mais faut gagner avant, j'ai des T.... d'ingéniozité et des T..... de patience aussi. J'ai bien un T..... Public mais personne n'en veut".
Là, j'ai senti l'arnaque: "T'entends ça Brutus? Jesus veut nous refourguer le T..... Public !!"
Je tenais fermement Brutus qui tenait fermement Rhésus aux parties, car dans malinois y a malin et y a noix aussi.

"Môssieur Jesus! Nous ce qu'on veut c'est un vrai T..... , un qu'on tire ou qu'on gratte, peu importe mais pas un où qu'on en a moins après qu'avant, compris?"
C'est fou ce que les gens comprennent vite avec un malinois aux parties.
Finalement on a choisi l'île au T....., une île du côté de Cuba avec un nom exotique Guantanuméro, je crois.
Et Jesus est reparti avec ses T.... d'ingéniozité; il nous a fait cadeau des T..... de patience en disant qu'on allait en avoir besoin.
En prime il y avait un costume traditionnel cubain de couleur orange que Brutus s'est empressé de bouffer; Brutus et moi, on a jamais aimé l'orange.


lundi 15 novembre 2010

La vie explosive de Marco Polo

Publié aux Editions: Les Impromptus Littéraires
 
Autant il était parvenu facilement à pied par la Chine, autant Marco Polo avait du mal avec cette poudre noire qui lui collait aux basques et ailleurs. Quelle idée de mongol avait-il eu de rapporter cette cochonnerie dans ses bagages ?
Comme s'il ne suffisait pas de s'être empêtré dans cette contrepèterie à rendre jaloux son cousin Rocco !
Toujours est-il que sa découverte avait mis le feu aux poudres et Paul Emploi l'avait bien vite classé dans la catégorie technicien supérieur en pyrotechnique après un stage de formation harassant au cours duquel le mariage de Louis XIII et de l'infante espingouine avait coûté son pesant de pétards ! Ses favoris chuchotaient que le roi avait toujours eu le feu au cul ce qui, pleurnichait l'infante lui faisait une belle jambe.

Il n'empêche que Marco ne supportait pas ces artifices et leurs déflagrations qui lui causaient des névralgies aigües et de terribles migraines au point que son taux d'absentéisme, hors concours chez Alma Consulting était devenu légendaire. On dira d'ailleurs plus tard: "On reconnait les flemmards à leur marque au polo". Vers 1295, entre deux migraines (soit environ une graine entière) il tombe par bonheur sur un dépliant de chez Naviguer-pas-cher et démissionne sur le champ pour s'embarquer destination Venise afin d'y mourir comme le vantait la publicité.

Trois ans passent et comme rien ne se passe à part trois ans et que Marco ne veut rien négliger dans sa biographie pas même la date de sa mort, il s'en va combattre à Gênes là où il n'y a pas de plaisir.
Effectivement il n'y a aucun plaisir puisqu'il est fait prisonnier et partagera sa cellule avec un certain Rustichello De Pise dont le penchant naturel pour l'écriture restera dans les annales, tout comme Louis XIII dans ses favoris.

Sitôt libéré, il reprend les chaînes en la personne de Donata qui lui donnera trois filles et par là même de nouvelles migraines.
Il en sera définitivement délivré en 1324 en devenant feu Marco Polo comme le garantissait le prospectus.
L'Histoire dit que feu Marco s'éteint sur ces célèbres mots "C'est le bouquet final", ceux-là même encore prononcés le quatorze juillet avec déception à l'instant du dernier pétard... ou à l'instar du dernier pétant, c'est pareil.
On dit sur la toile que peu de temps après, un nouveau pape allait être appelé à régner mais ceci est une autre histoire...  
 
Merci à Marco Polo et Wikipédia de m'avoir permis de glisser 5 mots hétéroclites comme autant de pétards mouillés dans ce feu d'artifice du lundi 15 novembre 2010
 

samedi 13 novembre 2010

C'est la moindre des choses


Moi c'est Jeannot de La Garenne-Colombes et dans cette garenne y a pas plus rapide que moi ce qui est la moindre des choses pour un lapin.
Elle c'est Méta, ma jolie carpe... je crois qu'on s'connait depuis toujours.
Les jaloux me demandent souvent où j'ai été la pêcher mais j'dirai rien passeque ça ferait du tort au torrent.
Lui c'est Super-Gynéco le célèbre spécialiste de la fécondation in vitro et si vous vous d'mandez ce qu'y vient faire ici c'est qu'on a déjà tout essayé avec Méta et qu'il est notre dernier espoir d'avoir une descendance.
Faut dire que les écailles ça glisse comme une carpette et ça facilite pas l'coup du lapin; je croyais que quand on sort d'un milieu aqueux on était au top pour le radada mais sur terre ma Méta est hyper-fragile des branchies et moi j'suis pas doué pour l'apnée! J'ai même essayé le tuba et le masque mais les oreilles passent pas.

Super-Gynéco dit qu'on aura une portée de carpins... ou de larpes, on sait plus trop avec tous ces mots compliqués mais on y croit à donf! Méta est muette d'admiration pour ce type, ce qui est la moindre des choses pour une carpe.
Bien sûr les autres se foutent de moi en rigolant: "Avec ta Méta carpe, t'es tombé sur un os!" qu'y disent mais nous on s'en fout, et même si les petits auront la queue plate et les dents en avant on les aimera... c'est la moindre des choses quand on a trop attendu.
Y en a d'autres qui disent que Méta a bien mordu à l'hameçon, mais je sais que l'hameçon c'est la moindre des choses qui plait chez un lapin, et puis elle m'a jamais mordu!

On a accroché deux grigris au dessus du p'tit berceau, une patte de lapin et une arête... ça mange pas d'pain et ça entretient l'espoir comme dit Super-Gynéco et c'est la moindre des choses quand on est gynéco.
Ca fait une paie que le professeur nous fait surveiller le taux de béta, alors on piste tous ceux qui ricanent derrière nous et comme y sont de plus en plus nombreux on sent bien que Meta va plus tarder à lapiner.
Tout est prêt, même les faire-part où on a fait mettre des trucs sympa comme 'in vitraux véritas" et "carpe diem"... c'est la moindre des choses quand on s'aime.
Alors on vous rencardera quand ça sera venu, c'est la moindre des choses.  


 
Même Jean de La Fontaine ne s'en est pas mêlé, pourtant il était calé en bestioles; c'est dire que l'origine de l'expression Marier la carpe et le lapin reste floue. En tout cas les Défis Du Samedi l'auront voulu: le secret du carpin est enfin dévoilé.
Je remercie super-gynéco pour son aimable collaboration.

lundi 8 novembre 2010

Le marchand de secrets

A force de plonger dans le monde trouble des secrets, ceux que l'on chuchote à l'oreille, ceux que l'on échappe un soir d'alcool, ceux que l'on enfouit parce qu'ils font trop mal... j'ai fini par faire un cauchemar!
Heureusement, ça se soigne bien même si ça n'est pas remboursé par les Impromptus Littéraires
 
 

 
 
Le marchand de secrets s'impatientait et sa faux trancha l'air au dessus de ma tête avec des sifflements inquiétants et de terrifiants éclairs métalliques.
En bredouillant je racontai la poupée brisée tout au fond du coffre à jouets et les livres déchirés de ma petite soeur.

"Dépêchons, dépêchons" insistait-il d'une voix qui sifflait autant que sa faux.
Alors je parlai des collets posés dans la garrigue où tant de lapins s'étaient étranglés et même de mes "coins" à girolles; par contre je passai sous silence les cachettes des trompettes de la mort de peur de lui donner trop d'idées.
"Dépêchons, venez-en à l'essentiel, bon sang! Ce n'est pas avec ça que je vais faire mon chiffre"

J'avouai donc les jeux troubles sous les draps avec mes cousins dans la chaleur des nuits de juillet et puis encore les serments désuets échangés avec Marion quand je l'entraînais dans le dédale de notre vieux moulin.
Derrière moi la foule avait grossi et comme nous étions tous nus, cette promiscuité ne m'incitait pas à la confidence.
"Dépêchons, je n'ai pas que ça à faire et les autres attendent" tonnait mon bourreau tandis qu'un coup de faux rasant emportait une mèche rebelle et me déliait la langue.

Fallait-il donc que j'avoue les aventures de l'oncle Gaston et son enfant caché?
Devais-je déballer tout ces fardeaux de vies amassés à l'étude où j'avais exercé et qui n'avaient jamais franchi le rempart poussiéreux de mes chers dossiers?
Fallait-il aussi avouer... Non, pas çà!
Mon voisin me bourrait les reins de coups impatients et j'allais être fauché et rejoindre l'immense tas que constituaient les muets, les rebelles et autres récalcitrants. Je me retournai pour lancer un "Poussez pas!" qui s'étrangla dans ma gorge.
De la foule compacte montait maintenant un murmure qui s'amplifia rapidement "debout, Debout, DEBOUT!"


Les boucle blondes de Marion balayaient mon visage. "Sais-tu quelle heure il est, mon amour?"
Son parfum musqué chatouillait mes narines et je tendis les mains vers les seins blancs qu'elle m'offrait sans pudeur.
Je n'avais jamais autant aimé ce petit rire nerveux qui l'agitait toute entière et la rendait si désirable.
Promis, demain je lui dirais tout... enfin, peut-être. 

samedi 6 novembre 2010

Embouteillus congestus

nuages.jpg
"Bon Dieu! Qu'est-ce que vous glandez?"
Saint Pierre jeta un regard en coin à saint Paul puis fit mine de se concentrer sur ses écrans.
Quand le patron commençait par Bon Dieu, c'est qu'il allait y avoir du grabuge en haut lieu.
"C'est quoi tous ces cirrus castellanus au dessus de New York un dimanche après-midi?"
"Euh... Seigneur, on a dû laisser passer deux cumulus congestus à destination de Vancouver, alors forcément ça bouchonne"
"Quoi ça bouchonne! Combien de fois devrais-je le répéter? Je ne veux voir que des stratus fractus, à la rigueur des altostratus radiatus sur New York quand c'est mon jour... enfin le jour du Seigneur!"
Saint Paul riait sous chasuble, les altostratus radiatus ça le faisait toujours marrer.
En quelques coups de joystick, saint Pierre venait de ramener du grand bleu sur tout le territoire américain quand un troupeau de cirrus vertebratus s'annonça par l'Est.
Heureusement le Seigneur avait déjà tourné les talons en grommelant "Qu'est ce qui m'a inventé des aiguilleurs pareils ?" comme s'il ignorait la réponse.

Le joystick s'agita un instant mais le troupeau, évitant de justesse un altocumulus translucidus surgi du néant prit son tour dans la file d'attente derrière une marmaille excitée de cirrus floccus en route pour Las Vegas...
La circulation dominicale était devenue intolérable et saint Pierre aurait volontiers pris sa retraite s'il avait eu tous ses siècles de cotisation.
"Attention devant!!" hurla saint Paul.
Deux stratocumulus mammatus venaient d'entrer en collision sur les îles britanniques.
Saint Pierre remit à plus tard son calcul séculaire pour établir le constat; cette faute d'inattention allait encore lui coûter un point sur son permis d'aiguilleur.

"Fais gaffe quand même" ronchonna saint Paul "on a encore un cirrostratus nebulosus et quelques altostratus duplicatus programmés dans cinq minutes!"
"Tu déconnes Paulo! Moi j'ai des nimbostratus pannus".
"N'importe quoi, Pierrot... y a jamais de pannus pour la Toussaint, le patron les a remplacés par des cumulonimbus capillatus au prétexte que ça arrose mieux".
Saint Pierre promena un regard éteint sur ses écrans de contrôle; dire qu'autrefois on collait un bon gros cirrocumulus lacunosus sur tout le globe jusqu'à la saint Hubert et basta!!
Depuis que la Trinité avait édité son nouveau catalogue de nuages automne-hiver, le ciel devenait vraiment ingérable.
Béat, saint Paul avait remis son walkman et se balançait sur un air qu'il kiffait grave... un truc d'un certain Django Reinhardt.


 
publié aux Défis Du Samedi sur le thème Nuages

lundi 1 novembre 2010

Menottes

La littérature est remplie d'écrits sur les mains, mais il faut pourtant que j'y aille de mon récit... à deux mains, peut-être  
 
Les mains disent beaucoup de choses sur un homme, le meilleur comme le pire.
"Soixante dix euros, vous n'y allez pas de main morte!!"
Elle n'avait pas compris mon jeu de mots et rosit en cherchant désespérément une réponse.
Cette jeune manucure balbutiante me donnait une irrésistible envie d'enfoncer le clou.
"Non seulement je vous abandonne mes rognures d'ongle et mes squames et en plus vous me saignez aux quatre veines!"
Les joues cramoisies contrastaient tellement avec les yeux d'un bleu profond que j'enfonçai le clou plus avant.
"J'ai bien envie de vous flanquer..." je la sentais au bord de l'évanouissement et ça me plaisait.
"... vous flanquer un pourboire". Pourquoi avais-je dit ça alors qu'elle chancelait comme je l'avais désiré? Je lui avais confié mes doigts une heure durant et cette idée d'une offrande de la main à la main me venait subitement. Comme elle reprenait ses esprits je pris sa main dans les miennes pour y glisser dix euros. "Etes-vous libre ce soir?"

"Messieurs les jurés, ne vous laissez pas abuser par ce port noble, ce visage avenant et ces mains délicates... ces mains qui ont commis l'irréparable et c'est pourquoi vous me suivrez dans une sentence exemplaire: vingt ans de réclusion!"
"Vingt ans! vous n'y allez pas de main morte!!" C'était plus fort que moi mais au moins je venais d'avoir la satisfaction de dérider le seul juré qui ne somnolait pas.
Cette petite conne n'avait pas été à la hauteur, elle m'avait tellement déçu. Elle n'avait pas aimé mes menottes tout comme je haïssais les miennes, et puis elle avait le cou trop blanc.
J'aurais imaginé que les bracelets métalliques seraient plus seyants à mes poignets mais il n'en était rien. Tout allait mal aujourd'hui, alors j'ai croisé les doigts.



 
 
Publié aux Impromptus Littéraires

lundi 25 octobre 2010

T'as voulu voir Bali

  Les voyages forment la jeunesse et déforment le reste, la preuve !!
 


 
T'as voulu voir Bali et on a vu Bali
enfin toi tu l'as vu, moi j'étais dans un lit!
A vouloir emporter trois tonnes de bagages
j'ai dû pousser l'avion avant le décollage.

Aux gongs et bambous tu préférais les cloches
c'était toi la plus belle et aussi la plus moche,
toi qui as toujours cru que Rome est aux Antilles,
que la coke espagnole est blanche de Castille.

Si tu avais fermé ta bouche de chacal
au lieu de claironner à cette javanaise
"j'en ai bavé pas vous" et toutes tes fadaises
on n'aurait pas eu droit à un toucher rectal...

Les douaniers balinais n'étaient pas délicats
j'en garde pour longtemps un souvenir cuisant
doublé d'un lumbago au parfum d'arnica,
mêlé de vin de riz et de tranquillisants.

Alors je te préviens l'an prochain c'est sans moi
Tataouine ou Cuba, à Lille chez Maurice
tu iras où tu veux au gré de ton caprice
te faire palper le dos et ce que tu voudras! 

 
Publié aux Impromptus Littéraires avec l'aimable autorisation de mon proctologue
(Non! je déconne)

mercredi 20 octobre 2010

Langue de vipère


Faire le portrait, réel ou imaginaire d'une langue de vipère, c'est facile par les temps qui courent.
Quand on voit c'qu'on voit, qu'on entend c'qu'on entend et qu'on sait c'qu'on sait, il suffit de délier sa langue, sa mémoire ou son imagination.
 
 


 
"Voyez vous, docteur, tout a commencé par un goût aSsside dans la bouche"
"Quel genre de goût acide?"
"Ssss...Et ben comme Sssselui des tartes aux pommes de ma gourdaSssse de cousine"
"C'est celà, oui"
"Ensuite j'ai eu l'impression que ma langue allait Sssse couper en deux"
"En deux dites vous?"
"Oui, Ssss... on aurait dit que j'étais deux à parler comme les vieilles commères du Ssssinquième!"
"C'est celà, oui"
"Et puis je m'suis mis à baver dès que j'ouvrais la bouche"
"Et vous bavez souvent?"
"Tout l'temps, comme la groSssse vache qui répond au téléphone quand j'appelle chez vous"
"C'est celà, oui"
"Alors quand j'ai commencé à Ssssiffler, je m'suis décidé à venir vous voir"
"Mais vous sifflez ou vous persifflez?"
"Ben vous entendez pas? Ssssa fait dix minutes que j'siffle"    
"Humm... je vois. Seulement ici vous êtes chez le docteur Lang-Devy fils... pour le vétérinaire Lang-Devy père, c'est la porte en face"
"MerSsssi docteur"
 
Publié Sssse jour Ssssur le Ssssite des Impromptus Littéraires... Ssss 

dimanche 10 octobre 2010

je te plumerai

   
D'après le thème du Défi Du Samedi: Le chant des oiseaux

Glissez dans votre texte ces quelques vers d'André Theuriet (1833-1907) tirés de son poème "Petite alouette"... sauf que tout un chacun dès le plus jeune âge a appris à la plumer de la tête jusqu'à la queue.
Qui a oublié cette comptine? Personne
 

André Theuriet a dit:
"Alouette, tu pars, le gosier tout gonflé
De jeunes mélodies,
Et tu vas saluer le jour renouvelé".

Mais c'était sans compter
sur tous nos chérubins inscrits à la comptine
qui rêvent de plumer
Et ta tête et ton bec, tes yeux de gélatine

Ton dos ré-mi-mi-ré
Ton cou de chocolat, tes ailes nougatine
Ta queue saint-honoré
jusqu'au couplet final beurré sur la tartine

Méfie toi des gourmets
Tu as beau turluter mieux que le rossignol
ton gosier tout gonflé
finira, refroidi, en pâté aux girolles. 
 


lundi 4 octobre 2010

Brocéliande

 Oui je sais, je me répète mais quand on me parle d'explorateur qui sommeille, de chasseur de paysages et de faire découvrir un lieu que j'aime particulièrement... je ne peux pas m'empêcher de parler de Brocéliande
 
Dans un grand splash la tartine amerrit dans mon bol de chocolat fumant. Ce matin encore le pic vert a frappé au carreau d'un grand coup de bec sonore qui m'a fait sursauter.
En six mois j'ai l'impression d'avoir apprivoisé tout l'environnement et ses bruits familiers, mais il en est certains qui me surprennent toujours comme pour dire "Tu n'es pas encore tout à fait prêt".
"Que veux tu, l'oiseau?" lui ai-je dit, à peine revenu de ma surprise. Il m'a regardé effrontément d'un air de dire :"Je ne veux rien, je suis ici chez moi, c'est tout".
C'est vrai, il était chez lui et dans un éclair vert mêlé de rouge il a quitté l'appui de fenêtre pour aller s'accrocher au poteau de clôture le plus proche, lui a donné deux coups de bec bien sentis avant de s'envoler vers le bois.
C'est là où je vis mais ce théâtre est à tout le monde, au randonneur chevronné comme au promeneur tranquille, au gourmand cueilleur de mûres et au goûteur de silence, au cycliste trop pressé et au cavalier solitaire.
Mon silence je le goûte au crépuscule comme on déguste un bon café après le repas, quand tous les oiseaux ou presque se sont tus, quand le chevreuil curieux franchissant je ne sais où la clôture de la prairie voisine vole aux percherons quelque maigre touffe d'herbe, quand les lapins font une dernière course en agitant leur fanal blanc, quand la colonie de lézards a regagné ses trous ou le couvert des tuiles du toit encore tièdes.
Alors j'entre sous la voute ténébreuse de chênes et de sapins comme dans une grotte végétale et l'écho discret de mes pas dans la sente me fait l'effet d'un martèlement terrible. C'est ce moment magique que je choisis pour m'arrêter et tenter d'écouter l'inaudible, l'imperceptible craquement d'un sapin, le bruissement des feuilles sous la brise comme un lointain ressac. La chouette mystérieuse vient de pousser son premier cri.
Bientôt la pénombre enveloppera tout et c'est alors le signe du retour dans les senteurs des buis odorants et des prairies surchauffées. Je pousse à regret le petit portillon ouvrant sur mon domaine, abandonnant le sentier à tous ceux qui cherchent un peu de sérénité... et à tous les autres aussi.
 
publié aux Impromptus Littéraires

vendredi 24 septembre 2010

Complainte du héron cendré

  heron.jpg
"Un jour, sur ses pincettes, allait je ne sais où,
Le Héron égoïne emmanché d'une pelle."

Oui! Je sais qu'il n'y a point de rime en ces mots
mais la faute en revient au fieffé bricolo,
bricoleur du dimanch' ou plutôt Samedi
qui m'a mis sur le dos et la pelle et la scie!

Je l'aurais parié! j'entends se retourner
Monsieur de La Fontaine en son Père Lachaise,
ignorant qu'aujourd'hui on aime recycler
et peupler nos jardins de grinçantes foutaises.

J'eus même préféré une tête de veau
au tarin persillé ou à la fine aigrette
plutôt qu'une égoïne, un outil d'opérette
pourquoi pas la faucille ou même le marteau?

Des pincettes noircies à la pelle à charbon
je ne sais qui des deux me donne des boutons,
pour un héron cendré me voilà bien servi,
vous pouvez jubiler... Défis Du Samedi!
 
 
Un grand merci au fieffé bricolo des Défis Du Samedi qui m'a envoyé au charbon !

samedi 18 septembre 2010

Doux d'où?

A peine posées les valises sur le plancher sarthois voilà qu'une question existentielle se pose... soulevée par l'esprit démoniaque des Défis Du Samedi !
Comme si je n'avais que ça à faire: découvrir ce que sont devenus tous les doudous de notre enfance.
En tout cas voilà une occasion d'occuper mes nuits écourtées par les effets pervers du décalage horaire.
 
  doudou.jpg

Il est un paradis, un endroit des plus doux
où dorment, orphelins des milliers de doudous,
celui des jours heureux qui naquit dans un chou,
doudou des nuits sans fin quand miaulent les hiboux.

Celui des gros chagrins, du bobo d'un caillou,
le doudou pansement qui soigne les genoux,
celui jamais lavé, qu'on dirait plein de poux,
le doudou satiné plus précieux qu'un bijou.

Celui qui vaut bien plus que les plus beaux joujoux,
et puis le tien, le mien, enfin notre doudou.
Pluriel ou singulier on s'en moque après tout
car dans ce paradis tous les doudous sont doux. 
 

dimanche 5 septembre 2010

Silence

publie aux Defis Du Samedi...

 

 

Ce matin le pic vert a frappé au carreau d'un grand coup de bec sonore qui m'a fait sursauter.
"Que veux tu?" lui ais-je dit, à peine revenu de ma surprise. Il m'a regardé effrontément comme pour me dire :"Je ne veux rien, je suis ici chez moi, c'est tout".
C'est vrai, il était chez lui et dans un éclair vert et rouge il a quitté l'appui de fenêtre et s'en est allé s'accrocher au poteau de clôture le plus proche, lui a donné deux coups de bec bien sentis avant de s'envoler vers le bois.
C'est là où je vis mais ce lieu est à tout le monde, au randonneur chevronné et au promeneur tranquille, au gourmand cueilleur de mûres et au goûteur de silence, au cycliste trop pressé et au cavalier solitaire.
Le silence je le goûte au crépuscule quand tous les oiseaux ou presque se sont tus, quand le chevreuil curieux franchissant je ne sais où la clôture de la prairie voisine vole aux percherons quelques maigres touffes d'herbe, quand les lapins font la course en agitant leur fanal blanc, quand la multitude de lézards a regagné ses trous ou le couvert des tuiles du toit encore tièdes.
Alors j'entre sous la voute ténébreuse de chênes et de sapins comme dans une grotte végétale et le discret bruit de mes pas dans la sente me fait l'effet d'un martèlement terrible; c'est le moment magique où je m'arrête pour écouter l'inaudible, l'imperceptible craquement sec d'un sapin, le bruissement des feuilles comme un lointain ressac ou le premier cri de la chouette mystérieuse.
La pénombre enveloppe tout et c'est le signe du retour dans les senteurs des buis odorants et des prairies surchauffées; je pousse le portillon, abandonnant le sentier à tous ceux qui cherchent un peu de sérénité... et à tous les autres aussi.