mardi 23 février 2010

presque Modo (en latin Quasimodo)




(... pas pu résister au plaisir de délirer sur le thème des Impromptus Littéraires "Dans la cathédrale"
. Pardon, Victor H.)



Chaque matin, vers dix heures, je me levais tant bien que mal du pied gauche, celui qui boitait... à quoi bon me lever plus tôt depuis qu'ils avaient électrifié la tour Sud?
Ca m'avait foutu l'bourdon quand y z'étaient venus brancher Emmanuel et je me sentais devenu tout à coup inutile. C'étaient pas les sonnailles des fillettes de la tour Nord qui m'occupaient beaucoup et je pris goût à musarder au lit jusqu'aux préparatifs du bouillon d'onze heures, c'est comme ça que j'appelais cette messe où les huiles venaient transpirer dans leurs beaux costards.
Dans la cathédrale personne ne se souciait donc plus de moi et au milieu des chimères j'allais rouler ma bosse incognito jusqu'à la fin d'mes jours.
Plus question d'aller pousser l'battant de cinq cent kilos comme je l'avais fait si souvent pour la Pâque ou Noël; désormais le fa dièse tintait tout seul et le coup de jus que j'avais pris dans un dernier câlin m'avait refroidi... la fée électricité comme y disaient m'avait mis au rancart et j'peux vous dire qu'ça fait mal au choeur.
Y z'avaient cru m'consoler en m'laissant les fillettes Angélique, Antoinette, Hyacinte et aussi la Denise mais les nanas anorexiques ça a jamais été mon truc... enfin, à part mon Emeraude mais c'est une aut' histoire.
Comme j'étais vénère, j'leur agitais l'battant en leur chantant un truc de Perret:
"J'ai vu l'grand zizi d'un p'tit bedeau
Ô gué, ô gué
Qui sonne l'angélus les mains dans le dos
Ô gué, ô gué"

Avec mon oeil, j'voyais bien qu'ça leur plaisait pas et qu'elles tintaient faux mais comme je suis sourd j'en avais rien à secouer!

Le seul qu'était sympa avec moi c'était Jean de Bruges, le frangin de Jeff de Bruges qui vendait du chocolat en place de grêve; lui il était facteur d'orgues. Y fallait le voir se démener au clavier et toujours ponctuel aux répètes! Les autres y disaient en rigolant "Tiens voilà l'facteur d'orgues", mais ça m'a jamais fait marrer vu qu'c'était l'facteur de Bruges.

C'est lui qui m'a défendu quand les autres y z'ont voulu m'virer pour le tournage, l'équipe de cinoche comme y disaient... que des pédants et mal sapés avec ça, un genre pas catholique!
Moi j'étais là bien avant eux, alors quand y m'ont dit d'sortir du champ... y s'croyaient dans un champ, j'ai foncé dans l'tas et Jean est venu m'aider.
Plus tard y z'ont remballé leur matos, débarrassé le plancher, leur Lollobrigida et leur Quinn qu'était plus bossu que moi; j'étais pas fâché de les voir partir.
Y z'ont dit que plus tard y nous en f'raient voir de toutes les couleurs, un cinémascotte ou un truc comme ça. Jamais plus entendu parler d'eux?
Y parait qu'on aura bientôt un nouveau roi... Nicolas qu'y s'appellera et y'a un bruit qui court mais j'l'entend pas, évidemment... c'est qu'y f'rait des licenciements secs avec un karcher? Là, y faudra que Jean y m'esplique tout ça passeque j'dois bien avoir droit à queque chose vu que j'suis bossu, borgne et bancal.  
       





lundi 22 février 2010

Tartarin Plantagenêt

C'est pas parce qu'on s'appelle Christian Oster qu'on écrit des romans sombres, en tout cas à l'invitation des Impromptus Littéraires "Dans la cathédrale" qui commence par Chaque matin, vers dix heures, je me levais... j'y ai juste vu des frayeurs enfantines


Chaque matin, vers dix heures, je me levais le lièvre,
le lapin de garenne ou la poule faisane...
armé jusqu'aux quenottes de ces sarbacanes
que j'avais fabriquées avec autant de fièvre.

Flanqué du retriever, le brave Rintintin
j'arpentais la forêt comme ce Tartarin
dont on m'avait souvent rebattu les oreilles
qui, en chasseur de lions n'avait pas son pareil.

A l'abri des sapins comme autant de clochers
faisant japer le chien, je lapais l'eau glacée
au creux d'un bénitier en pierre de roussard.

Tapi sous les buissons en voute végétale
la forêt résonnait et dans la cathédrale
j'ai prié Saint Julien que le lion soit flemmard.
 

lundi 15 février 2010

Plus tard, je s'rai vieille dame indigne


publié sur Les Impromptus Littéraires

Marre de tout ça!!

Marre qu'on m'dise comment j'dois faire les choses... ranger ma chambre, jeter mes canettes de Bud dans la poubelle verte, pas la jaune!
accorder l'participe passé d'la grand-mère, beurrer mes tartines aux oméga douze.

Et bientôt ça s'ra quoi? Pointer à l'heure chez Paul Emploi comme mon vieux? voter Chamakh comme mon vieux pass'qu'y supporte les Girondins?

Non, plus tard mais pas trop tard quand même, à cause de l'ostéo-morose et tous ces machins qu'y z'attrapent, j'voudrais devenir vioque; comme la vioque du cinquième qui bichonne sa marie jeanne dans des jardinières et donne des carottes aux pigeons d'la rue pour qu'y z'aient meilleur goût.

Y en a qui disent qu'elle est loup phoque; moi j'suis scorpion mais j'm'en fous, plus tard j'voudrais faire vieille dame indigne.
Je sais qu'y a pas d'formation pour ça mais j'vais y arriver! J'suis même prête à faire des cons... promis comme dit mon vieux.

samedi 13 février 2010

J'aime pas les nuits noires


Quand il fait sombre et qu'une main inconnue serre la vôtre un peu trop longtemps, il est temps d'annoncer la couleur aux DéfisDuSamedi...


 

Je me disais bien qu'à force de se pencher sur l'horizon la nuit finirait par tomber... et elle tomba, brutalement, dans un silence assourdissant. Non pas une nuit câline, nuit d'amour comme chantaient mes vieux mais plutôt une nuit d'encre de Chine qui vous poisse les yeux et les doigts comme au cours de dessin de monsieur Mangin.
J'aurais dû comprendre qu'on était entrés dans le tunnel, moi et mon engin si j'avais eu le temps de déchiffrer le panneau Bout du tunnel: 300 mètres, mais j'étais bien trop occupé à maîtriser le bolide, une trottinette BMX flambant neuve que j'avais trouvée au paravent ou plutôt au pied du sapin de Noël et que je venais tout juste de dompter après moultes ruades intempestives et quelques cabrioles sanglantes.
J'étais pourtant debout sur le frein et l'impression qu'on allait bientôt atterrir me confirma que le tunnel était en pente et que le bout du tunnel était bien plus bas que le haut... enfin les trottineurs me comprendront.
Je maudissais mes vieux d'avoir fait l'économie d'un frein à tambour et d'un éclairage quand j'abordai sèchement, la semelle collée au bitume, ce qui ressemblait bigrement à un virage; je dis cela à cause des gerbes d'étincelles jaillies sur mon aile gauche et de cette sensation d'avoir le cul plus haut que les oreilles!
C'est à cet instant que je l'ai senti sur ma main droite, cet étau glacial qui me clouait fermement au guidon et nous faisait zigzaguer de tous côtés. Horrifié je sentais dans mon cou le souffle rauque et baveux du monstre qui allait soudain m'engloutir dans les ténèbres et qui enfonçait ses griffes acérées en ricanant.
A quoi bon lutter contre cette poigne brutale et soudaine qui menaçait un équilibre déjà trop précaire?
J'allais m'abandonner à mon triste sort quand je reconnus ce ricanement... je l'aurais reconnu entre mille: c'était celui du grand Mangin, le fils du prof de dessin mais surtout l'amoureux de Juliette à qui j'avais volé un baiser le matin même à la récré.
"Tu vas le regretter" hurla t'il en arrachant le guidon de la trottinette, et comme je tombais avec lui en croquant au hasard un morceau d'oreille à ma portée, il y eut comme un éclair fulgurant suivi d'un grand trou noir.

J'avais dans la bouche quelque chose d'humide et sucré, plus proche d'une esgourde ennemie que d'un baiser volé et je comptai dans le noir mes abattis avant de me relever; à part un genou couronné et une trottinette bonne pour la ferraille, je m'en sortais pas mal. J'en serais quitte pour un bon savon et une compresse "qui pique", moi qui ne goûtais ni l'un ni l'autre. Mon rival semblait avoir disparu autant que je pus en juger car la nuit de Chine était plus noire que l'intérieur du tunnel.
Je crus pourtant percevoir un grognement d'ours mal léché derrière moi, ce qui eut pour effet de me redonner des ailes et, devinant au loin les lumières des premières maisons, je mis le cap clopin-clopant vers un monde plus civilisé...
Demain, Juliette saurait tout et elle devrait choisir !
 

lundi 8 février 2010

Vous avez dit... bazar?

Il faut s'appeler les Impromptus Littéraires pour aller mettre le souk en plein désert et qui plus est un lundi matin, faire galérer le légionnaire, intriguer le touriste et irriter les dieux... alors en hommage aux soldats du Désert, voici la complainte de Sarah.





Pour avoir ensablé de beaux légionnaires

et bu tout l'Oasis caché dans leur barda
une fée du djebel, Sarah du Sahara
fut jugée par les dieux et privée de désert.

Finis la liberté et les bonds de gazelle,
le berbère est malin pour punir la donzelle:
on mit un fil hirsute comme la barbe l'est
quand le vieux touareg oublie de se raser.

Malgré ses jérémiades et ses laisse béton
on allah demander au sheik à provisions
de quoi cacher enfin ce morceau d'horizon.

(Ici commence le souk)

A défaut de genoux de hiboux et de choux
sur le tas on alla ramasser des cailloux,
mais comme le bédouin le reg est dégarni
et paraissait encore l'horizon infini.

Que Dieu qu'Allah et l'ir... rémédiable t'emportent
il nous manque un machin, un bazar, une porte;
d'un portail ancestral on chassa les vieux gonds
et dressa le vantail pour fermer l'horizon.

Et des siècles plus tard si vous allez là-bas
malgré tous leurs efforts et tous leurs falbalas
vous pourrez constater que l'horizon est là...  


samedi 6 février 2010

L'homme-tronc



"Mais qu'est-ce qu'y fabrique? Ce gosse me rendra folle!"
Pour confirmer l'évènement la grande horloge comtoise ponctua la phrase d'un coup de gong sonore et exaspéré.
Dans ces cas-là, la mère trépignait devant son fourneau comme un boxeur impatient d'en découdre, mais l'adversaire en culotte courte ne venait pas.
"Donne moi donc la soupe, la mère... ça l'fera venir".
La nuit tombait vite en cette saison mais la lampe-tempête manquait au clou et le vieux fut rassuré.
"Tu peux pas l'renier celui-là! Toujours un coup à faire, toujours dans les nuages quand y a tant d'travail ici..."
Le vieux n'écoutait plus et derrière le brouillard de sa soupe brûlante on aurait pu le voir sourire.
Le gamin avait emporté le trépied, celui qui servait autrefois pour traire la vache... et puis la petite boussole cerclée de cuivre qu'on avait gagné l'an dernier à la foire de Charolles.
La mère terminait son troisième round devant la fenêtre où elle jetait à la fois des coups d'oeil inquiets et des coups de torchon destinés à quelque insecte imaginaire.
"Mais qu'est ce qu'y fiche à c't'heure..."
Le vieux trancha la sempiternelle question et la grosse miche de campagne: "Redonne-moi d'la soupe, la mère... y tardera pas".
Une grosse louche de légumes odorants, sortie du fond de la marmite amerrit dans un grand splash.
"C'est pas bon pour mon coeur tous ces tracas" souffla t'elle sur la louche vide.
Le vieux gardait son étrange sourire, il était dans sa forêt, celle qu'il avait exploitée durant tant d'années qu'il aurait pu nommer chaque arbre et chaque bosquet.
Le gosse avait emporté sa boîte de couleurs, celle qu'on avait achetée pour l'école avec son couvercle décoré et les gouaches alignées comme des soldats multicolores...
Pourquoi emporter des couleurs? Il avait sans doute ses raisons, et puis Marcel ne le quittait jamais et il n'y avait pas meilleur chien dans tout le canton.
Le vieux s'attaquait à une demi patate naufragée dans l'océan fumant de sa soupe quand il eut un large sourire.
"C'est tout c'que tu trouves à dire, le père?"
Oui les couleurs... c'était pour l'homme-tronc, la figure sculptée qu'il avait trouvée ce fameux jour où il poursuivait le loup-garou avec son lance-pierres...


publié sur DéfiDuSamedi après avoir longuement regardé dans les yeux cet étrange visage de bois... c'est pas malin, ma soupe est froide !