dimanche 28 novembre 2010

Calembours et bigoudis

En 1999 Bashung recevait une victoire de la musique pour le superbe "La nuit je mens".
Les Impromptus Littéraires s'en souviennent... et moi aussi à ma façon
 
La nuit je mens je m'engourdis
je m'enracine au matelas
tu m'entortilles et tu me dis
"Viens par ici" mais je suis las.

La nuit je mens je m'enlaidis
à te faire peur mais toi tu ris
tu m'encourages aux interdits
à toutes tes bizarreries.

La nuit je mens je m'endurcis
je suis glacé jusqu'aux orteils
tu m'ensorcelles et c'est pareil
je vis ma nuit en autarcie.

La nuit je mens je m'enrichis
je rêve aux millions du loto
tu m'enregistres, quel gâchis!
c'est toi le foutu numéro.

La nuit je mens je m'entrevois
dans ton regard à claire-voie
tu m'encanailles mais l'ennui
c'est mon défaut je mens la nuit.

Un jour viendra, je te le dis
nos nuits seront comme nos jours
tu quitteras tes bigoudis
et j'oublierai mes calembours.
 

 

 

lundi 22 novembre 2010

La machine à couillonner

Un matin - mais était-ce un matin -, il fallut bien se rendre à l'évidence : le temps avait bel et bien disparu.

Quand tout le monde ou presque se fut rendu à l'Eve y danse, la dernière guinguette encore ouverte dans le canton, le préfet prit la parole pour la rendre aussitôt: "Boudiou! Je vous donne ma parole que nous allons bien vite trouver une solution à ce fâcheux contre-temps".
La dernière fois qu'il avait dit ça, c'était quand notre fontaine municipale s'était tarie mais j'étais trop jeune pour m'en souvenir et le vieux Paniole n'avait pas son pareil pour en parler.... non, pas son pareil !

Vint le tour des questions et chacun tour à tour de faire le tour de la question.
Un garçon vacher voyait le mal en pis et jurait mort aux vaches tandis que les moissonneurs eux voyaient le mal en épis.
Monsieur Papillon l'horloger et son éternelle mauvaise foi s'étaient abstenus de venir, prétextant qu'ils n'avaient pas le temps et qu'ils donneraient leur avis en temps utile.
Un jeune instituteur fit justement remarquer que maintenant, nous avions tout le temps pour y réfléchir sauf que lui était jeune et l'un des rares à réfléchir.
Le clerc de notaire pour qui le temps n'était qu'argent tripotait sa montre dans l'espoir de voir retrotter sa trotteuse et déclara que dorénavant il faudrait gagner du temps.
Les optimistes scandaient que de tout temps on avait toujours eu le temps et qu'il allait revenir d'avant longtemps, ce qui ne rassura personne.
Un estrangié venu des calanques grecques ou un pays comme ça osa même avancer qu'il fallait relativiser le problème mais un coup de tonnerre l'interrompit.

"Qui a bien pu tuer le temps?"
La voix forte du 'gardian' avait raisonné résonné dans le troquet comme une plombe sur la grosse cloche d'un campanile mais personne ne s'avisa de répondre, ignorant qu'il existât une date d'ouverture de la chasse au temps.
Peut-être n'avait-il pas tout à fait disparu et l'idée d'un mi-temps commença même à circuler dans une assistance fébrile et prête à toutes les concessions. Les initiatives les plus folles fusaient de toutes parts: laisser du temps au temps, chercher lanterneja (midi à quatorze heures) et bien d'autres galéjades encore.

Comme le vieux Saturnin se levait le brouhaha s'éteint en soupir de lassitude; à le voir péniblement ouvrir la bouche, chacun comprit qu'il allait prendre son temps mais après tout c'était le sien.
"Depuis des lustres..." commença t-il "j'ai dans ma remise une machine à remonter que m'avait laissé en gage un certain Wells... un excentrique à qui j'avais prêté ma mule mais qui n'est jamais revenu".
"Le vieux fou radote, on n'est pas sortis de la guinguette!" ironisa un impatient.
"Alors si le coeur vous en dit de la remonter..." termina t-il en se rasseyant "je l'échange volontiers pour une paire de mules".

Le soir même - mais était-ce le soir - il fallut bien quitter l'Eve y danse et le troc eut lieu: un couillon reçut un tas de planches vermoulues et le vieux Saturnin une paire d'espadrilles... 
 
Publié aux Impromptus Littéraires
 

samedi 20 novembre 2010

Guantanuméro

Quand les Défis Du Samedi m'ont proposé de parler de mon trésor, j'ai hésité... d'abord parce que c'est le seul que j'ai jamais eu et que celui-là, Brutus et moi on a dû le garder pendant cinq ans!
Aujourd'hui on est contents d'être revenus à la maison, alors je peux en parler.



Il m'est tombé dessus sans crier "Gare!" ou bien je dois être un peu dur de la feuille.
C'est Brutus mon malinois qui est venu me dire comme ça:"Y a un type collé à la porte".
Sans trop réfléchir je lui ai lancé "Rapporte"...
Et ce qu'il m'a rapporté s'appelait Jesus mais il prononçait Rhésus comme tous les facteurs, car il était facteur et un peu portugais aussi.
D'habitude il m'en ramenait des petits mais celui là était gras, limite adipeux.

"Vous avez gagné un T....." réussit-il à bredouiller.
J'avais jamais rien gagné dans ma vie et j'allais lui signifier son erreur à ma façon quand il a osé insister; des fois les facteurs ça insiste.
"Vous zôtres vous êtés tous pareils! Vous dîtes qué ça n'arrive qu'aux zôtres et quand c'est votre tour vous z'y croyez pas!"
"Doux Jesus, et comment on aurait gagné ça, hein Brutus?"
Pas facile de répondre la gueule pleine, alors Brutus n'a rien dit.

 

Pour un facteur il avait l'air d'en connaître un rayon et Brutus l'a laissé continuer : "Des fois c'est au grattaze, des fois au tiraze... pour vous zé sais pas"
"Et il est comment notre T.....?"
Alors il a sorti un vieux bouquin qui puait le chafouin comme tous les vieux bouquins; je voyais bien que ça plaisait pas à Brutus mais Rhésus a commencé à bouquiner à haute voix.
"Voyons voir, j'ai une île au T.... mais faut creuser soi-même ou encore un T..... de guerre mais faut gagner avant, j'ai des T.... d'ingéniozité et des T..... de patience aussi. J'ai bien un T..... Public mais personne n'en veut".
Là, j'ai senti l'arnaque: "T'entends ça Brutus? Jesus veut nous refourguer le T..... Public !!"
Je tenais fermement Brutus qui tenait fermement Rhésus aux parties, car dans malinois y a malin et y a noix aussi.

"Môssieur Jesus! Nous ce qu'on veut c'est un vrai T..... , un qu'on tire ou qu'on gratte, peu importe mais pas un où qu'on en a moins après qu'avant, compris?"
C'est fou ce que les gens comprennent vite avec un malinois aux parties.
Finalement on a choisi l'île au T....., une île du côté de Cuba avec un nom exotique Guantanuméro, je crois.
Et Jesus est reparti avec ses T.... d'ingéniozité; il nous a fait cadeau des T..... de patience en disant qu'on allait en avoir besoin.
En prime il y avait un costume traditionnel cubain de couleur orange que Brutus s'est empressé de bouffer; Brutus et moi, on a jamais aimé l'orange.


lundi 15 novembre 2010

La vie explosive de Marco Polo

Publié aux Editions: Les Impromptus Littéraires
 
Autant il était parvenu facilement à pied par la Chine, autant Marco Polo avait du mal avec cette poudre noire qui lui collait aux basques et ailleurs. Quelle idée de mongol avait-il eu de rapporter cette cochonnerie dans ses bagages ?
Comme s'il ne suffisait pas de s'être empêtré dans cette contrepèterie à rendre jaloux son cousin Rocco !
Toujours est-il que sa découverte avait mis le feu aux poudres et Paul Emploi l'avait bien vite classé dans la catégorie technicien supérieur en pyrotechnique après un stage de formation harassant au cours duquel le mariage de Louis XIII et de l'infante espingouine avait coûté son pesant de pétards ! Ses favoris chuchotaient que le roi avait toujours eu le feu au cul ce qui, pleurnichait l'infante lui faisait une belle jambe.

Il n'empêche que Marco ne supportait pas ces artifices et leurs déflagrations qui lui causaient des névralgies aigües et de terribles migraines au point que son taux d'absentéisme, hors concours chez Alma Consulting était devenu légendaire. On dira d'ailleurs plus tard: "On reconnait les flemmards à leur marque au polo". Vers 1295, entre deux migraines (soit environ une graine entière) il tombe par bonheur sur un dépliant de chez Naviguer-pas-cher et démissionne sur le champ pour s'embarquer destination Venise afin d'y mourir comme le vantait la publicité.

Trois ans passent et comme rien ne se passe à part trois ans et que Marco ne veut rien négliger dans sa biographie pas même la date de sa mort, il s'en va combattre à Gênes là où il n'y a pas de plaisir.
Effectivement il n'y a aucun plaisir puisqu'il est fait prisonnier et partagera sa cellule avec un certain Rustichello De Pise dont le penchant naturel pour l'écriture restera dans les annales, tout comme Louis XIII dans ses favoris.

Sitôt libéré, il reprend les chaînes en la personne de Donata qui lui donnera trois filles et par là même de nouvelles migraines.
Il en sera définitivement délivré en 1324 en devenant feu Marco Polo comme le garantissait le prospectus.
L'Histoire dit que feu Marco s'éteint sur ces célèbres mots "C'est le bouquet final", ceux-là même encore prononcés le quatorze juillet avec déception à l'instant du dernier pétard... ou à l'instar du dernier pétant, c'est pareil.
On dit sur la toile que peu de temps après, un nouveau pape allait être appelé à régner mais ceci est une autre histoire...  
 
Merci à Marco Polo et Wikipédia de m'avoir permis de glisser 5 mots hétéroclites comme autant de pétards mouillés dans ce feu d'artifice du lundi 15 novembre 2010
 

samedi 13 novembre 2010

C'est la moindre des choses


Moi c'est Jeannot de La Garenne-Colombes et dans cette garenne y a pas plus rapide que moi ce qui est la moindre des choses pour un lapin.
Elle c'est Méta, ma jolie carpe... je crois qu'on s'connait depuis toujours.
Les jaloux me demandent souvent où j'ai été la pêcher mais j'dirai rien passeque ça ferait du tort au torrent.
Lui c'est Super-Gynéco le célèbre spécialiste de la fécondation in vitro et si vous vous d'mandez ce qu'y vient faire ici c'est qu'on a déjà tout essayé avec Méta et qu'il est notre dernier espoir d'avoir une descendance.
Faut dire que les écailles ça glisse comme une carpette et ça facilite pas l'coup du lapin; je croyais que quand on sort d'un milieu aqueux on était au top pour le radada mais sur terre ma Méta est hyper-fragile des branchies et moi j'suis pas doué pour l'apnée! J'ai même essayé le tuba et le masque mais les oreilles passent pas.

Super-Gynéco dit qu'on aura une portée de carpins... ou de larpes, on sait plus trop avec tous ces mots compliqués mais on y croit à donf! Méta est muette d'admiration pour ce type, ce qui est la moindre des choses pour une carpe.
Bien sûr les autres se foutent de moi en rigolant: "Avec ta Méta carpe, t'es tombé sur un os!" qu'y disent mais nous on s'en fout, et même si les petits auront la queue plate et les dents en avant on les aimera... c'est la moindre des choses quand on a trop attendu.
Y en a d'autres qui disent que Méta a bien mordu à l'hameçon, mais je sais que l'hameçon c'est la moindre des choses qui plait chez un lapin, et puis elle m'a jamais mordu!

On a accroché deux grigris au dessus du p'tit berceau, une patte de lapin et une arête... ça mange pas d'pain et ça entretient l'espoir comme dit Super-Gynéco et c'est la moindre des choses quand on est gynéco.
Ca fait une paie que le professeur nous fait surveiller le taux de béta, alors on piste tous ceux qui ricanent derrière nous et comme y sont de plus en plus nombreux on sent bien que Meta va plus tarder à lapiner.
Tout est prêt, même les faire-part où on a fait mettre des trucs sympa comme 'in vitraux véritas" et "carpe diem"... c'est la moindre des choses quand on s'aime.
Alors on vous rencardera quand ça sera venu, c'est la moindre des choses.  


 
Même Jean de La Fontaine ne s'en est pas mêlé, pourtant il était calé en bestioles; c'est dire que l'origine de l'expression Marier la carpe et le lapin reste floue. En tout cas les Défis Du Samedi l'auront voulu: le secret du carpin est enfin dévoilé.
Je remercie super-gynéco pour son aimable collaboration.

lundi 8 novembre 2010

Le marchand de secrets

A force de plonger dans le monde trouble des secrets, ceux que l'on chuchote à l'oreille, ceux que l'on échappe un soir d'alcool, ceux que l'on enfouit parce qu'ils font trop mal... j'ai fini par faire un cauchemar!
Heureusement, ça se soigne bien même si ça n'est pas remboursé par les Impromptus Littéraires
 
 

 
 
Le marchand de secrets s'impatientait et sa faux trancha l'air au dessus de ma tête avec des sifflements inquiétants et de terrifiants éclairs métalliques.
En bredouillant je racontai la poupée brisée tout au fond du coffre à jouets et les livres déchirés de ma petite soeur.

"Dépêchons, dépêchons" insistait-il d'une voix qui sifflait autant que sa faux.
Alors je parlai des collets posés dans la garrigue où tant de lapins s'étaient étranglés et même de mes "coins" à girolles; par contre je passai sous silence les cachettes des trompettes de la mort de peur de lui donner trop d'idées.
"Dépêchons, venez-en à l'essentiel, bon sang! Ce n'est pas avec ça que je vais faire mon chiffre"

J'avouai donc les jeux troubles sous les draps avec mes cousins dans la chaleur des nuits de juillet et puis encore les serments désuets échangés avec Marion quand je l'entraînais dans le dédale de notre vieux moulin.
Derrière moi la foule avait grossi et comme nous étions tous nus, cette promiscuité ne m'incitait pas à la confidence.
"Dépêchons, je n'ai pas que ça à faire et les autres attendent" tonnait mon bourreau tandis qu'un coup de faux rasant emportait une mèche rebelle et me déliait la langue.

Fallait-il donc que j'avoue les aventures de l'oncle Gaston et son enfant caché?
Devais-je déballer tout ces fardeaux de vies amassés à l'étude où j'avais exercé et qui n'avaient jamais franchi le rempart poussiéreux de mes chers dossiers?
Fallait-il aussi avouer... Non, pas çà!
Mon voisin me bourrait les reins de coups impatients et j'allais être fauché et rejoindre l'immense tas que constituaient les muets, les rebelles et autres récalcitrants. Je me retournai pour lancer un "Poussez pas!" qui s'étrangla dans ma gorge.
De la foule compacte montait maintenant un murmure qui s'amplifia rapidement "debout, Debout, DEBOUT!"


Les boucle blondes de Marion balayaient mon visage. "Sais-tu quelle heure il est, mon amour?"
Son parfum musqué chatouillait mes narines et je tendis les mains vers les seins blancs qu'elle m'offrait sans pudeur.
Je n'avais jamais autant aimé ce petit rire nerveux qui l'agitait toute entière et la rendait si désirable.
Promis, demain je lui dirais tout... enfin, peut-être. 

samedi 6 novembre 2010

Embouteillus congestus

nuages.jpg
"Bon Dieu! Qu'est-ce que vous glandez?"
Saint Pierre jeta un regard en coin à saint Paul puis fit mine de se concentrer sur ses écrans.
Quand le patron commençait par Bon Dieu, c'est qu'il allait y avoir du grabuge en haut lieu.
"C'est quoi tous ces cirrus castellanus au dessus de New York un dimanche après-midi?"
"Euh... Seigneur, on a dû laisser passer deux cumulus congestus à destination de Vancouver, alors forcément ça bouchonne"
"Quoi ça bouchonne! Combien de fois devrais-je le répéter? Je ne veux voir que des stratus fractus, à la rigueur des altostratus radiatus sur New York quand c'est mon jour... enfin le jour du Seigneur!"
Saint Paul riait sous chasuble, les altostratus radiatus ça le faisait toujours marrer.
En quelques coups de joystick, saint Pierre venait de ramener du grand bleu sur tout le territoire américain quand un troupeau de cirrus vertebratus s'annonça par l'Est.
Heureusement le Seigneur avait déjà tourné les talons en grommelant "Qu'est ce qui m'a inventé des aiguilleurs pareils ?" comme s'il ignorait la réponse.

Le joystick s'agita un instant mais le troupeau, évitant de justesse un altocumulus translucidus surgi du néant prit son tour dans la file d'attente derrière une marmaille excitée de cirrus floccus en route pour Las Vegas...
La circulation dominicale était devenue intolérable et saint Pierre aurait volontiers pris sa retraite s'il avait eu tous ses siècles de cotisation.
"Attention devant!!" hurla saint Paul.
Deux stratocumulus mammatus venaient d'entrer en collision sur les îles britanniques.
Saint Pierre remit à plus tard son calcul séculaire pour établir le constat; cette faute d'inattention allait encore lui coûter un point sur son permis d'aiguilleur.

"Fais gaffe quand même" ronchonna saint Paul "on a encore un cirrostratus nebulosus et quelques altostratus duplicatus programmés dans cinq minutes!"
"Tu déconnes Paulo! Moi j'ai des nimbostratus pannus".
"N'importe quoi, Pierrot... y a jamais de pannus pour la Toussaint, le patron les a remplacés par des cumulonimbus capillatus au prétexte que ça arrose mieux".
Saint Pierre promena un regard éteint sur ses écrans de contrôle; dire qu'autrefois on collait un bon gros cirrocumulus lacunosus sur tout le globe jusqu'à la saint Hubert et basta!!
Depuis que la Trinité avait édité son nouveau catalogue de nuages automne-hiver, le ciel devenait vraiment ingérable.
Béat, saint Paul avait remis son walkman et se balançait sur un air qu'il kiffait grave... un truc d'un certain Django Reinhardt.


 
publié aux Défis Du Samedi sur le thème Nuages

lundi 1 novembre 2010

Menottes

La littérature est remplie d'écrits sur les mains, mais il faut pourtant que j'y aille de mon récit... à deux mains, peut-être  
 
Les mains disent beaucoup de choses sur un homme, le meilleur comme le pire.
"Soixante dix euros, vous n'y allez pas de main morte!!"
Elle n'avait pas compris mon jeu de mots et rosit en cherchant désespérément une réponse.
Cette jeune manucure balbutiante me donnait une irrésistible envie d'enfoncer le clou.
"Non seulement je vous abandonne mes rognures d'ongle et mes squames et en plus vous me saignez aux quatre veines!"
Les joues cramoisies contrastaient tellement avec les yeux d'un bleu profond que j'enfonçai le clou plus avant.
"J'ai bien envie de vous flanquer..." je la sentais au bord de l'évanouissement et ça me plaisait.
"... vous flanquer un pourboire". Pourquoi avais-je dit ça alors qu'elle chancelait comme je l'avais désiré? Je lui avais confié mes doigts une heure durant et cette idée d'une offrande de la main à la main me venait subitement. Comme elle reprenait ses esprits je pris sa main dans les miennes pour y glisser dix euros. "Etes-vous libre ce soir?"

"Messieurs les jurés, ne vous laissez pas abuser par ce port noble, ce visage avenant et ces mains délicates... ces mains qui ont commis l'irréparable et c'est pourquoi vous me suivrez dans une sentence exemplaire: vingt ans de réclusion!"
"Vingt ans! vous n'y allez pas de main morte!!" C'était plus fort que moi mais au moins je venais d'avoir la satisfaction de dérider le seul juré qui ne somnolait pas.
Cette petite conne n'avait pas été à la hauteur, elle m'avait tellement déçu. Elle n'avait pas aimé mes menottes tout comme je haïssais les miennes, et puis elle avait le cou trop blanc.
J'aurais imaginé que les bracelets métalliques seraient plus seyants à mes poignets mais il n'en était rien. Tout allait mal aujourd'hui, alors j'ai croisé les doigts.



 
 
Publié aux Impromptus Littéraires