samedi 30 avril 2011

Je hais la campagne

Toute ressemblance avec des personnages réels est fortuitement voulue

 


Cinq ans qu'on créchait moi et Elle dans cette grande résidence. Je m'étais tellement habitué aux marbres blancs et aux tapis des Gobelins que j'ai rien vu venir, pas même les sondages...
J'aurais volontiers signé un second bail mais Elle m'a susurré "Quelqu'un m'a dit qu'on va devoir partir, Chouchou".
Moi qu'ai toujours kiffé le style Régence, ça m'a fichu un sacré coup!

Comme je me résignais à remplir un premier carton, Carlita avait explosé d'un rire cristallin, celui que j'aime tant d'habitude et Elle avait improvisé "A Capo Negro... y'a tout c'qui faut".
C'était pas tant l'idée qu'Elle puisse en faire un tube qui m'énervait, mais j'avais jamais envisagé d'aller vivre un jour chez ma belle doche au château de Faraghi. J'aurais presque préféré un riad en Tunisie... quoique.

Maigre consolation j'emportais ma collection de montres de luxe et mon petit vélo, cadeau d'Armstrong - pas le trompettiste, le pédaliste - de toute manière un Trek Madone bleu-blanc-rouge sur mesures ça s'abandonne pas et pis j'avais vraiment pas l'esprit à faire des cadeaux.
Pour c'qui était du gros navion - Air Machin One - je pouvais en faire mon deuil pisque l'Autre - le prochain - allait en hériter. Pas grave, il hériterait aussi de la baignoire sabot qui fuyait!

Pris d'un gros coup d'blues j'me suis mis à visiter chaque pièce depuis les combles remplis des cadeaux de l'Autre - celui d'avant - jusqu'aux sous-sols bourrés de bagnoles où j'allais jamais passeque j'ai peur du noir. J'ai même trouvé des endroits dont j'ignorais l'existence mais comment m'repérer parmi trois cent soixante cinq pièces quand j'ai déjà du mal à m'rappeler où j'ai foutu mon karcher.

Je m'demandais bien c'que l'Autre allait pouvoir faire de tout ça, d'un salon Pompadour ou d'une salle de bains Eugénie qu'est pas une salle de bains...
La première dame qu'était aussi ma troisième prenait ça beaucoup plus sereinement que moi: " C'est la vie Chouchou" minaudait Carlita en lorgnant les biscoteaux des déménageurs de chez Hermès occupés à démonter ses dressing.

Par une fenêtre ouverte, j'entendais un borlot chanter. Déjà j'regrettais mon jardin à l'anglaise, mes rhododendrons et ce cher bonsaï que Clara et Dumbledore arrosaient copieusement en levant la patte, surtout Dumbledore.

Au grand dam de ma Dame le semi-remorque à l'enseigne de Speedy Gonzales fut bientôt plein, c'qui m'évitait la corvée d'emporter tout l'bric à brac de l'Autre - celui d'avant celui d'avant - quelques meubles design avant-gardistes pour l'époque et d'un goût discutable.

Alors on est sortis par la p'tite porte pour une fois mais c'était aussi la dernière fois et sans nous retourner.
Dans la cour un bairoux sifflait, et ben j'vais vous l'dire puisque vous m'l'auriez demandé : quand le bairoux siffle comme ça l'été s'ra chaud.

P.S: J'ai gardé une clé... on sait jamais. 

lundi 25 avril 2011

Petit lexique des mots perdus mais pas pour tout le monde

Les mots sont comme les bonnes habitudes, ils se perdent et avec eux notre belle langue.
Les Impromptus Littéraires nous offrent l'occasion inespérée d'en remettre quelques uns à l'honneur en les illustrant d'exemples on ne peut plus parlants  
 
 

Callipyge (adj) : qui a de belles fesses.

exemple: La secrétaire avait de jolies fesses, j'eus préféré qu'elle y pige un peu plus en sténo.
 

Ebaubi : qui exprime une grande surprise.

exemple: Hé Bobby! Qu'est ce que tu fous là?
 
 

Péronnelle (n. fém.) : jeune femme sotte et babillarde.

exemple: Le père O'Neil avait deux niaises, l'une muette et l'autre pas du tout
 

Postéromanie : envie d’avoir des descendants.

exemple: Monsieur,
désireux de fonder une famille en Europe de l'Est j'accepte ce poste en Roumanie.
 

S’adoniser : se parer avec beaucoup de recherche.

exemple: On a coutume d'envoyer les esthètes se faire s'adoniser chez les Grecs.
 

samedi 23 avril 2011

Pas de vacances pour Nicolas

 


J'ai aimé ses yeux vert, son regard écolo
sa pipe, son imper et son petit chapeau
un regard qui disait "j'en ai sous le capot"
alors sans hésiter j'ai voté pour Hulot.

Je le voyais déjà président flegmatique
ennemi des discours et de la rhétorique
saluant les baigneurs et leurs pâtés de sable
porté par un ballon écolo-dirigeable.

Oui mais sous son capot c'était pas du colza,
et son slogan tordu, un truc en Ushuaïa
ses amis l'appelaient Commandant couche-tôt

J'étais loin des vacances de Monsieur Hulot
et dans Saint-Marc-sur-Mer on causait nucléaire,
je venais de plonger vingt mille lieues sous les Verts.


Ironie du sort: 
J'ignorais que Jacques Tati s'était inspiré, pour la création de son personnage, de son voisin architecte qui était aussi le grand père de Nicolas Hulot.
 
Publié sur les Défis Du Samedi sur le thème: Le regard vert... le regard écolo 

 

lundi 18 avril 2011

Fadaises mineures




 
''Qu'est ce qu'on massacre c'te fois?''
''Pavane d'un certain Gabriel Fauré''
''Faux ré! En v'la un drôle de blaze''
 ''Ben, si c'était Deaudièze ou Mibémolle, ça s'rait aussi un drôle de nom''
''Et quel thon?''
''Tu pourrais avoir un peu d'respect pour l'auteur''
''J'demandais juste en quoi t'est ce que ça démarre?''
''En fa dièse mineur''
''Pfff! En fadaises mineures? Drôle de thon''
''Non, j'ai dit en fa dièse mineur comme c'est écrit là, sur la partoche''
''Excuse! T'avais dit en fadaises min...''

''C'est pas bientôt fini les frangins Hautbois?''
''Hé Miss Clarinette! On t'a pas sonné. Le jour où tu donneras le ''la'' tu pourras la ramener''
''Toujours aussi aimables les frangins... Maître Charles n'a pas fini d'en baver avec vous''
''Quel Charles?''
''Maître Charles, Môssieur, Charles Lamoureux notre chef!''
''Ah, tu veux dire Charlie... celui qui s'tue à nous faire rabâcher depuis un mois un truc lancinant qui va durer à peine dix minutes!''
''Je vous signale misérable Hautbois que ce soir, 25 novembre 1888 est le grand soir où la Pavane sera interprétée pour la première fois en public''
''Et la dernière j'espère! Je kiffe pas l'barouf des bassons et encore moins çui des cors! Quelle idée d'souffler comme ça dans un éléphant?
  Et j'te parle pas des cordes... et vas-y que j'te frotte, et vas-y que j'te frotte. C'est nuit d'pleine lune ou quoi?''
''La mélodie, l'harmonie, la symphonie ça ne vous dit rien?''
''Si mais c'machin là, j'le sens pas... ça traîne trop. Moi j'l'aurais bien vu en rap''
''En rap? Mais on n'est qu'en 1888''
''En rapsodie, espèce de tronc de chou''

''Taisez vous, bon sang! Voici le maestro!''
''Ah vous les flûtes de paon on vous a pas sonné non plus''
''Vous nous avez bien regardées? Nous ne sommes pas des flûtes de Pan!''
''Hi Hi... Pourtant y'a pas mieux qu'la flûte de paon pour s'pavaner !!''

C'est ainsi qu'en ce 25 novembre 1888, alors qu'on venait tout juste d'entonner l'Internationale - mais ce n'est pas le sujet -  deux Hautbois massacrèrent si bien la Pavane que trois jours plus tard l'auteur créait une version chorale destinée à couvrir leur nasillage tout en les vilipendant par quelques répliques bien senties:
soprano : ''Ô la mortelle injure''
alto : ''nous rabattrons bien leur caquet''
femmes : ''qu'ils sont laids''
 
Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème musical Pavane de Gabi



 

lundi 11 avril 2011

Mystère et boule de gomme

 
Le crayon de Dieu lui-même n'est pas sans gomme
et mal lui en a pris lorsqu'il créa la pomme.
Ca sonnait pourtant bien: Pêcher original
mais il faut des pépins, les noyaux c'est banal
alors il rectifia: Péché originel
il ne lui restait plus qu'à créer la femelle.

Il n'avait façonné qu'un homo erectus
un tas d'effeminés, des accros de l'anus
et pour s'approprier la pomme du plaisir
il manquait celle qui croque sans réfléchir.
Prenant par l'autre bout son crayon à dessin
il effaça la côte, élargit le bassin.

Celle qui s'apprétait à croquer la golden
avait sous le crayon gagné un port de reine
une taille de guêpe à damner tous les saints
y compris saint Robert et tout le saint-frusquin
mais dans son euphorie la gomme dérapa
et un serpent naquit que Dieu n'attendait pas.

Il avait des aspics la langue bien pendue
"C'est plein de vitamines, d'oligo-éléments
anti-cholestérol" lui sifflait le serpent.
Eve était convaincue et la pomme dodue
plus belle et moins velue que la pomme d'Adam.
Pressée elle y croqua, créant un pressé-dent.

Moralité:
Sur la table à desseins Dieu façonna les hommes
mais la Genèse est un Mystère et boule de gomme
 
 
Inspiré d'une phrase du poète Aimé Cesaire et publié aux Impromptus Littéraires

lundi 4 avril 2011

Des yeux dans le potache

 
  Souvenir de potache (promo 68)

Le deuxième en haut à droite, c'est bibi
 


J'ai jamais été très doué pour les souvenirs ni pour la drague non plus. De toute façon c'était la seule fille du lycée technique, alors...

Je sais, ça fait rire mais j'étais fils de Puteaux et Charlotte était fille de Garches, enfin je crois que c'est ce qu'on disait d'elle. J'ai jamais su pourquoi elle venait de si loin chaque matin au bahut.
L'immense carton à dessin et les bleus de travail de l'atelier mécanique, c'était pas fait pour elle.
L'atelier de chaudronnerie à l'odeur âcre et la salle des génératrices prêtes à s'emballer à la moindre erreur de branchement, c'était pas digne d'elle.
Pourtant elle n'était jamais aussi craquante que les mains noircies de limaille et les joues souillées de graisse rose.

Le vendredi on faisait du sport, ou bien c'était peut-être le jeudi. On nous emmenait courir au bois de Boulogne, c'était pratique. Y avait que le pont de Puteaux à traverser pour gagner le vestiaire du bord de Seine. Je me souviens que ça empestait l'embrocation et la sueur des mecs qui étaient venus avant nous. Charlotte elle venait jamais au vestiaire.

Ensuite on allait courir un cinq mille. Sur le parcours on voyait plein de filles dans des voitures mais on nous laissait pas y toucher, même si ça s'est toujours appelé Bagatelle. Parait que c'est plus des filles maintenant.
J'essayais de rattraper Charlotte mais elle courait vite, d'ailleurs je pense qu'elle y court toujours.
Et puis il y a eu le bac au moment des barricades de 68 et ça je m'en souviens car c'était un sacré bordel !
Alors j'ai eu droit de repasser l'année suivante mais c'était plus pareil.
Charlotte était partie et je courais moins vite... je crois que j'étais devenu vieux.

J'étais vieux et comme d'autres générations de vieux avant moi j'allais pousser la grande porte du marché du travail au risque d'oublier à tout jamais ce qui était sans doute les meilleures années de ma jeune vie, celles des cartables trop remplis qui vous filent la scoliose, celles des classes de neige, celles d'un vélo trop lourd qui me portait sous le poncho ruisselant des froides pluies printanières, celles de la règle à coulisse et du pied à calcul (ou bien c'était le contraire), celle du transistor au germanium, celle de ...

Promis, un jour je mettrai de l'ordre dans ma tête et je vous raconterai tout ça 
 
Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: Souvenir de potache

samedi 2 avril 2011

Poiscaille d'avril

  2 Avril  C'est pas trop tôt !! Si ce n'était pas pour être agréable à la communauté des Défis Du Samedi, je ne me serais pas livré à cette mascarade...
 


Tout avait commencé par un matin de printemps comme les autres. Je venais à peine de sortir du nid où j'avais passé une nuit d'enfer lorsqu'un rire inhabituel m'a fait sortir de l'herbier.
C'est pas pratique de rire dans notre milieu surtout pour une carpe peu diserte et pourtant elle riait fort, pas autant qu'une baleine mais elle riait.
J'ai passé mon chemin pour filer à la caisse d'épargne d'autant que je commençais à manquer de liquide.

L'employée - un thon amorphe qui devait bien peser trente livres - riait aussi à s'en vider les ballasts alors j'ai vite pris l'oseille - c'est bon pour les arêtes - et je suis parti.

Il flottait dans l'air ou plutôt dans l'eau - oui c'est possible - une sorte d'atmosphère de rigolade qui m'échappait, comme si tous les pêcheurs de Marseille avaient amorcé au Pastis mais c'était un peu tôt pour la saison.

Au coin de l'avenue de l'Océan une paire de loches cessa de se bécoter pour se boyauter dans mon dos; d'un coup de queue j'ai filé pour ne plus entendre leurs gloussements mais le vieux congre qui tient le Musée des Hameçons riait lui aussi de toutes ses dents, enfin du peu qui lui restait!

Bonne-Mère! Ou bien je n'étais pas au courant de la dernière vanne du Vieux Port ou bien j'avais dans la nuit hérité d'une tronche de poisson clown!
Je devais en avoir le coeur net d'autant qu'un banc de maquereaux en goguette venait de s'exploser de rire en me renversant.
Du coup j'ai vu rouge, j'ai mis les gaz comme dit le turbot et c'est alors qu'à la faveur d'un reflet de soleil sur une grosse bulle d'air, je l'ai vu LUI...

bien accroché à ma nageoire dorsale, IL me suivait comme un poisson pilote en agitant ses membres de papier... le foutu bonhomme d'Avril