lundi 9 mai 2011

Rosae rosae rosa



La jolie fleuriste s'appelait Rose, c'est du moins ce qu'annonçait l'étiquette restée collée sur son sein gauche. En dessous elle avait cru bon d'ajouter son nom - Floribunda - que j'attribuai à des origines espagnoles et qui lui donnaient d'un coup un majestueux port d'infante.
Ce prénom lui allait comme un gant tant elle en avait la fraîcheur mais pas la fragrance, juste une puissante odeur de violette qui me tenait à distance bien malgré moi.
Son autre main était gantée elle aussi de telle sorte que j'ignorais si mon infante était libre ou l'esclave de quelque fringant hidalgo.
Je craignais qu'entre elle et moi ne se tissent que des liens purement commerciaux car nous ne parlions pas le même langage, pourtant je ne demandais qu'à comprendre.
Il me fallait juste quelques fleurs, un simple bouquet pour Madeleine qui n'aimait pas les bonbons, à part ces oeufs de mouette pralinés qu'elle m'envoyait chercher chez Tartifiole, le chocolatier de la rue de Noirmoutier mais Rose ne m'écoutait pas... elle parlait ou plutôt elle distillait.
A ma requête avaient succédé mille questions qui, bien qu'écloses d'une bouche adorable aux lèvres humides et veloutées n'en étaient pas moins incompréhensibles pour le piètre client que j'étais.
Si je préférais les rosacées aux campanulacées?
J'étais à cet instant de la famille des embaracées et comme ce trait d'esprit l'avait faite rire à gorge déployée, elle osa me proposer des renonculacées pour lesquelles je me gardai bien de tout commentaire déplacées déplacé.

Tétanisé par son décolleté aux boutons naissants, je lâchai malgré moi un "J'aimerais un bouquet de roses" et compris trop tard que je venais d'allumer la mèche d'un gigantesque feu d'artifice floral dont les noms fusaient comme autant de pétards multicolores et odorants.
J'ignorais qu'il existât sur notre planète des pompons rose ou rouge, des Gloire de Dijon, des Belle d'Orléans, des Jeanne d'Arc et jusqu'à des hybrides de thé!
Je découvrais stupéfait que des fleurs possèdent des aisselles, des aréoles, des échancrures et même des yeux!
La nature s'offrait à moi sous les formes les plus capiteuses, les plus sensuelles, les plus...

Je dus m'évanouir un long moment tant mon infante était volubile car en reprenant mes esprits je crus voir que les fleurs alentour avaient poussé.
Comme Rose achevait l'exposé d'une Royal Baccara, je hochai la tête pour abréger le supplice; c'était sans compter la question du nombre de roses et de sa symbolique! Autant de questions qui touchent à l'intime et m'obligeaient à me dévoiler. Il me fallait choisir entre la déclaration d'amour, la demande en mariage ou la passion dévorante qui allait décupler le prix du bouquet.
J'évaluais au fond de ma poche l'étendue liquide de ma fortune quand le rideau de l'arrière-boutique se leva brusquement sur mes belles illusions et le patron, un gros homme chargé de trois marmots tonitruants.

Le rouge au front, Rose qui s'appelait Gertrude disparut sans carrosse ni la moindre citrouille, me laissant seul face à l'hidalgo bedonnant et dans l'air une odeur qui tenait plus de la Pampers saturée que du muguet printanier.
Je cherche encore à comprendre comment j'ai passé la porte et traversé la ville jusqu'à la grille close de Tartifiole!
Je rentrais les mains vides et ce soir, Madeleine m'attendait. Elle allait encore me faire un cinéma et irait finir la soirée chez son cousin Joël...
  

Publié sur Les Impromptus Littéraires sur le thème Dites-le avec des fleurs
   

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