vendredi 1 juillet 2011

Darigade

 
 
Cette année là, j'avais poussé tel un bambou comme disait l'oncle André qui avait fait la guerre d'Indochine. Au moins disait il en riant "tu n'auras pas besoin de pinces à vélo si tu t'obstines à garder ces pantalons!".
Je n'arrivais certes pas encore à hauteur de selle mais jamais je ne me serais risqué à demander de l'abaisser, les seuls outils que pépé m'autorisait étaient ces petites clés carrées du Meccano que mon parrain m'avait légué.

Je promis d'être prudent, d'aller chercher les commissions chaque jour et plein d'autres corvées fastidieuses que j'étais certain de ne pas tenir.
Pépé gronda comme il le faisait toujours, prétextant que le seul véhicule de la famille n'était pas un jouet pour les gamins mais l'air attendri et protecteur que mémé affichait à chacune de mes demandes dissipa toute polémique.

Dès cet instant la rue Corneille qui menait en droite ligne au square Giraud fut rebaptisée Champs Elysées que je m'employais à parcourir de plus en plus vite, aux dires de mon petit frère qui ne possédait comme chronomètre officiel que la grande aiguille d'un réveil-matin fatigué...
A l'époque, la meute invisible qui me collait aux basques abritait des Rivière, Graczyk, Planckaert et autres Nencini mais fier de la casquette où j'avais écrit Darigade avec un seul 'r' faute de place, je ne craignais personne!
Quelques voitures suiveuses dont celle du laitier m'ayant précipité plusieurs fois contre le trottoir, je décidai après moultes séances de badigeon au mercurochrome d'abandonner ma brillante carrière cycliste, au risque de décevoir ces jeunes admiratrices qui semblaient sourire à mon passage.
Le roi de l'asphalte n'avait à ce jour que les genoux couronnés.


Mais j'avais mûri, pris des mollets et des envies de pétarades, d'odeur d'huile et de crissements de pneus montaient en moi à mesure qu'explosait la notoriété d'un certain Giacomo Agostini et sa merveilleuse machine.
Je délaissai Corneille pour Marivaux - auteur sans doute moins connu - dont la rue moins passagère me permettrait des pointes fulgurantes.

Deux pinces à linge et un bout de carton savamment ajusté entre les rayons eurent tôt fait de transformer le vélo de pépé en Agusta deux cent cinquante sous le regard admiratif de mon frère.
Le chronomètre réveil-matin était devenu superflu et sans les rugissements infernaux de ma machine et ce casque de chantier qui couvrait mes oreilles j'aurais pu entendre les applaudissements du voisinage, hormis ceux de pépé dont la surdité s'était heureusement aggravée.

Mais toutes les brillantes carrières ont une fin et, souvent dépassé et snobé par quelque mobylette pétaradante je pris un sérieux coup au moral au point de remiser définitivement ma monture.
Le vélo de pépé retourna dans le jardin et moi à mes cahiers de vacances... au grand dam de mes admiratrices.
 

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