lundi 9 janvier 2012

Le château des poireaux

  publié aux Impromptus Littéraires d'après l'image ci-dessous
 
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Quand je pense à ma chère tour pointue, celle qui encore aujourd'hui garde l'angle nord de la propriété familiale et toute ma gratitude, je ne peux m'empêcher d'évoquer les merveilleuses vacances qu'elle nous procura.

De loin, sa couverture de tuiles romaines lui donnait des airs de tour génoise mais nous l'avions dès le premier instant baptisée château.
Au souvenir de ses tuiles canal en terre cuite, j'entends encore les confidences de grand-père affirmant - l'oeil goguenard - qu'elles avaient été moulées sur la cuisse des femmes et je revis à l'instant où je l'écris ce trouble qui empourprait nos trognes juvéniles.

Au sommet du château, la pointe vernissée d'un beau vert 'poireau' devait se voir depuis le village car c'est ainsi que les gosses nous avaient baptisés... les poireaux.
De part et d'autre de notre tour, la courtine faite de murets bas nous protégeait à la fois des mulots, des gorgones et autres monstres malfaisants tout en permettant le guet sur les collines avoisinantes.
Le guet était revenu de plein droit à petit Pierre ce qui me laissait tout loisir de courtiser Bérangère dont le prénom usuel Elvire m'agaçait au plus haut point.
Notre tante affirmait que Bérangère avait poussé trop vite, ce que je démens formellement puisque mon regard arrivait juste à hauteur de sa poitrine naissante et c'était bien ainsi.

Revenons au château...
Une fois poussé le lourd battant armé de clous forgés on plongeait dans l'ombre complice de l'unique pièce qui nous servait selon nos jeux, de salle du trône, de sinistre prison ou de dortoir.
Par le plus grand des hasards, petit Pierre goûtait surtout la prison tandis que Bérangère et Moi profitions des fastes de la salle du trône et du dortoir au rythme des nombreuses cérémonies de couronnement et des non moins nombreuses siestes que l'on disait sages.
C'est là qu'aux plus chaudes heures de l'été, dans la musique entêtante des cigales nous nous 'apprenions' du bout des doigts jusqu'à ce que notre guetteur - juché sur son muret et en proie à quelque mirage de chaleur - pousse son cri d'alarme d'une puissante voix de fausset.
J'entends encore ses "Ennemis en vue!!" qui nous faisaient tressaillir et nous ramenaient à nos dures responsabilités seigneuriales.   

Le seul fenestron percé dans le mur servait de meurtrière, indispensable pour repousser l'ennemi et nous y avons jeté tant de moellons, cailloux, fers à cheval et autres projectiles que chaque été le jardinier du domaine rendait son tablier pour prendre ses jambes à son cou.
Et encore, on voue ici un tel culte à l'huile d'olive qu'il ne nous était jamais venu à l'idée de la faire bouillir!

Etendus à plat dos sur le sol frais, notre regard embrassait l'enchevêtrement en fausse-voûte du plafond charpenté où poutraison, voliges et liteaux offraient le gîte à une horrible colonie d'araignées pholcidae dont les toiles étaient autant de draperies diaphanes.
Bien avant l'invention de l'air conditionné, l'architecte des lieux avait eu l'idée d'installer un puits provençal dont la canalisation souterraine nous apportait une fraîcheur toute relative et plus surement de petits crapauds que je combattais vaillamment sous le regard reconnaissant de ma reine.

Comme par magie, à l'heure où le clocher de la vallée sonnait vêpres, les rayons du soleil traversaient le fenestron pour éclairer un trou de boulin sur le mur opposé. C'était Notre niche où Bérangère et Moi entassions chaque année nombre de trésors et de prises de guerre plus précieux les uns que les autres : gratte-cul, appeaux, sachets de lavande et tabac à chiquer.
Petit Pierre ayant interdiction d'y mettre le nez ou même d'y jeter le moindre regard, il connut la prison plus souvent qu'à son tour!
Sommairement saucissonné au moyen d'une pelote de laine chapardée à mamie, il était mis aux fers ou plus simplement couché sur l'étroite et rugueuse paillasse tandis que ma reine et Moi batifolions aux jardins.
Ce qu'on appelait les jardins se limitait à de maigres carrés cernés de pierres plates où vivotaient thym, lavande et basilic mais ils embaumaient tant qu'on s'y rendait les yeux fermés sans s'y être jamais couronné les genoux.

Après tant d'années notre trésor a été dilapidé, petit Pierre a grandi et sillonne les mers tandis que Bérangère redevenue Elvire règne sur cinq marmots au fin fond du Montana, loin très loin du trône où Moi roi des poireaux, je déposais à ses pieds poèmes enflammés et cerises confites.       















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