lundi 20 mai 2013

Gaulemanne

  Publié aux Impromptus Littéraires
 
 

 
 
“En.ole-moi! En.ole-moi! En.ole-m...”
 
Elle sait pourtant que je déteste qu'elle parle pendant les préliminaires mais cette scélérate saisit - à pleine bouche - l'occasion d'un tête-bêche pour en profiter.
J'ai eu beau lui expliquer que ça me déconcentre, que ça influe sur mes performances et par voie de conséquence sur nos plaisirs respectifs, c'est plus fort qu'elle, il faut qu'elle déclame!
Je me dégage non pas parce que j'en ai assez entendu ou assez profité mais dans le but d'améliorer sensiblement son élocution.
“Qu'est-ce que tu disais?”
“C'te blague... Envole-moi!
Le message aurait dû gagner en clarté, pourtant son sens m'échappe, tout comme ma furie qui rallie la salle de bains; les préliminaires viennent de faire long feu et la suite avec.
 
Au mépris des voisins, je hausse le ton pour couvrir le bruit de la douche:
“Quand tu dis Envole-moi, ça n'a aucun sens!”
“Comment ça, aucun sens?”
“Comprends bien que je ne peux pas t'envoler...”
“Qu'est-ce que tu dis?”
J'ai toujours eu horreur du ton que prennent nos échanges verbaux sur fond de douche et de la minceur des cloisons de l'appart qui nous fait rapidement profiter des commentaires des voisins.
Je suis bien certain que l'un d'eux dans quelques instants me criera qu'on ne dit pas Envole-moi... ou qu'on est priés de s'envoler en silence!
“Je te dis qu'on ne peut pas dire Envole-moi... Tu peux éventuellement t'envoler seule ou encore me dire Envole-toi, mais pas Envole-moi.”
 
Les chutes du Niagara finissent par s'éteindre et mon désir avec.
“Bichon, je n'ai jamais eu besoin de te dire Envole-toi! Tu le fais toujours sans m'attendre ni même demander la permission”
Bichon, c'est moi. Je sais c'est con mais c'est moi et ça durera tant qu'elle sera là.
Et elle est là, ruisselante, fraîche et si désirable mais elle m'a déconcentré et de toute façon les fautes de syntaxe ça ne me fait pas bander, bien au contraire!
 
Je n'aime pas quand elle fait la moue mais je ne peux pas laisser passer cette faute de français, même dans sa bouche à elle.
Depuis que j'ai appris qu'elle mettait un C cédille à fellation, j'ai décidé de la recadrer...
J'insiste : “Tu es bien d'accord qu'on ne peut pas dire Envole-moi, hein?”
“Et alors, pourquoi il le dit plein de fois, Jean-Jacques”
Je sens venir une de ses savantes explications, un truc infaillible - que si t'y crois pas, croix-de-bois-croix-de-fer-t'es-qu'un-gros-nul - qu'elle aura chopé dans Closer ou Gala entre les derniers états d'âme de Carla et la recette d'un millefeuille foie gras-Chantilly.
 
J'hésite un instant entre Rousseau et Servan Schreiber mais aucun d'eux n'aurait pu commettre un tel impair.
J'opte pour celui qui disait “Les femmes ne sont pas faites pour courir. Quand elles fuient c'est pour être atteintes” et je lui lance: “Quel Jean-Jacques? Rousseau?”
 
Elle croise souvent les jambes pour réfléchir et à l'instant - vu mon niveau de concentration - ça m'arrange.
“M'enfin! Gaulemanne!”
Je sens monter le conflit à défaut d'autre chose.
“Je ne connais que Pierre Goldman, le braqueur et intellectuel gauch...”
“T'es qu'un gros nul! J'te parle du chanteur, Jean-Jacques Gaulemanne!!”
 
Je savais que j'aurais droit au demi-tour réglementaire; ça finit presque toujours comme ça.
Je ne verrai pas plus longtemps sa moue, juste une belle chute de reins à faire oublier sa grammaire et un cul à renier son Bled!
C'est un peu vrai, je suis un gros nul et j'ai toujours pas compris pourquoi elle a besoin de déclamer dans ces instants cruciaux?   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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