lundi 17 novembre 2014

Bémol majeur

Publié aux Impromptus Littéraires qui nous invitent cette semaine à nous allonger...
 
 
 
 
 
Au début je parlais peu.
Et ELLE moins encore, si ce n'étaient ces “Oui et ensuite?” que sa bouche carmin susurrait sournoisement dans mon dos quand j'interrompais le grand déballage de mes lieux communs.
Oui et ensuite?”
Alors j'ai raconté Germaine et ses trois greffiers angora qui foutent du poil partout... pas tant les greffiers.
Je racontais nos vacances à Pornichet, l'appart de l'avenue du Littoral, le casino Partouche et puis la varicelle du gamin.
Oui et ensuite?”
Ensuite... il s'était gratté et on avait remplacé les bains de mer par des bains tièdes additionnés de farine d'avoine. Allez trouver de la farine d'avoine à Pornichet en plein mois d'Août!
ELLE était dotée d'une patience infinie et de deux jambes interminables qui finissaient au bord d'une micro-jupe moulante et qu'elle croisait et décroisait avec un petit bruissement soyeux des plus pernicieux...
Pendant ce temps je durcissais et mon fauteuil aussi, plus raide et plus inconfortable à mesure que je consultais.
Oui et ensuite?”
Ensuite j'ai évacué la farine d'avoine pour raconter le bureau, l'informatisation du fichier immobilier, la scannérisation du stock, les tickets restau et aussi cette soudaine promotion obtenue dans la douleur et l'écoeurement et qu'on appelle familièrement promotion-canapé.
Pour l'heure le sien était fait d'un vieux cuir crevassé et malgré son aspect fatigué par tant de fondements qui s'y étaient abandonnés, j'étais sûr de gagner au change.
Mais je devais le mériter - c'est ce qu'ELLE m'avait fait comprendre - quand j'aurais abandonné sur son paillasson tout ce fatras qui constituait mon 'Moi conscient' et qui m'empêchait de lâcher prise.
 
Lâcher prise... c'est pourtant ce que j'avais fini par faire dans les bras vigoureux de mademoiselle Gagnepain, Chef du service informatique à la Conservation des Hypothèques et je n'omis aucun détail des dispositions de l'article L.123-1 du Code du Travail même si les “Oui et ensuite?” avaient cessé et que les jambes interminables ne bougeaient plus.
Bizarrement je n'avais pas honte de ce déballage, de cet indécent strip-tease que j'exécutais juste pour ELLE dans la douce intimité de son appartement.
Habiter à deux étages au dessus de sa psychothérapeute peut présenter quelque avantage mais aussi des inconvénients.
Car j'y venais maintenant chaque jour - sauf le samedi à cause des réunions du club de scrabble et des courses au Mammouth avec Germaine – et je constatai que je parlais moins du fait qu'ELLE parlait de plus en plus.
Certes j'étais phobique, névrosé, limite parano mais bien moins qu'ELLE.
J'aurais été tellement déçu de la savoir normale!
Je me surpris même une fois, à lui lancer un “Oui et ensuite?” qui ne l'offusqua aucunement.
 
Un jour où j'arrivai en retard - essayez de descendre deux étages quatre à quatre - je butai sur un foutoir devant sa porte qui s'avéra plus tard être son 'Moi conscient' à ELLE - c'est à dire son 'Soi conscient' - bref, je réalisai en la trouvant alanguie sur le canapé que j'étais définitivement guéri.
Pour me conforter dans cette idée, je la gratifiai d'un “Je vous aime” éperdu qui acheva de la transformer.
ELLE commençait à renouer avec son statut d'enfant et s'abandonnait sans pudeur; c'est du moins ce qu'ELLE tenta de m'expliquer mais je ne l'écoutais plus. L'enfant qu'ELLE était redevenue gardait de sublimes jambes et comme elle achevait de se débarrasser de tous ces oripeaux qui n'étaient pas ELLE, je la trouvai nue et en fis tout autant...
Ne croyez pas tout ce qu'on dit à propos du passage à l'acte entre un psy et son patient, j'ai lu tant de choses sur les idylles de divan... et ce jour-là il ne se passa rien sinon qu'il ne me restait plus qu'à emménager chez Georges et c'est ce que j'ai fait le soir même.
 
D'autres que moi auraient fui mais Georges Sand n'était-elle pas d'abord une femme? Chopin pouvait en témoigner même s'il en doutât au début de leur relation.
Oui et ensuite” me direz-vous “que vient faire là, Chopin? Il serait interessant d'en parler”
Et bien, parlons-en.
Georges adore Chopin, ELLE en est folle et ne s'endort qu'avec la ritournelle de sa nocturne en mi bémol majeur au dessus de son lit rose.
Je fais preuve à mon tour d'une patience infinie car je sais bien qu'un jour ELLE cessera de m'appeler Papa.
 
 
 
 
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire