dimanche 26 juillet 2015

La guerre des pains d'épices

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration




Quand sonnait quatre heures à la pendule du salon, Oncle Hubert déclarait qu'il se retirait dans sa chambre, non sans avoir accroché le piège à guêpes au gros peuplier de la cour, car à cette saison les traîtresses attirées par notre goûter nous auraient embrochés sans pitié.
Son rituel accompli, l'oncle laissait là sa chaise vide - que personne ne se serait permis d'emprunter - tandis que mes cousins et moi prenions place sur les bancs.
“Le goûter, c'est bon pour les filles” clamait-il en éructant bruyamment tandis que tante Anastazia secondée par Adèle débarquait de la cuisine, les bras chargés de pâtisseries.
Un éternel sourire au coin de la bouche, notre tante polonaise ne répondait pas, convaincue que seule la jalousie dictait son propos.
Notre oncle était bien trop rustre - disait-elle - pour apprécier le raffinement d'un gâteau de riz au fromage frais ou d'un pain d'épices polonais, son fameux piernik qu'elle laissait “mûrir” six semaines au frigo!
Lui ne jurait que par les plaisirs incomparables de notre Bourgogne dont le seul et unique pain d'épices de Dijon, le fameux Mulot&Petitjean et puis les pets-de-nonne à la fleur d'acacia et les beignets de gaudes.
De son côté elle faisait - parait-il - le meilleur Sekacz de Poznan d'où elle était originaire, un sublime gâteau au citron cuit à la broche.
“Rien qu'à dire Sekacz” disait Oncle Hubert “on attrape la pépie à en boire la mer et les poissons!”
Dans ces conditions, on les imaginait mal partager un goûter sans se disputer et de toute évidence, les deux fillettes vides de Zubrovka - la wodka à l'herbe de bison - abandonnées derrière nous en disaient long sur l'état de fatigue de nononque!

Alors commençait pour nous le moment le plus festif de la journée, une orgie de sucreries et de thé noir au citron joyeusement perturbée par les jappements de Gonzo le gros chien jaune et ces batailles de gratte-culs qui faisaient pleurnicher les cousines!
Trop occupée à jacasser avec Adèle, tante Anastazia ne s'interposait pas dans ces empoignades dont les échos ne troublèrent jamais les ronflements d'Oncle Hubert, si bien que le carillon de cinq heures nous surprit souvent maculés, poisseux et bons pour la douche du soir...
Que le goûter soit une occupation de filles ou pas, j'attendais chaque jour ce moment de voluptueuse jouissance sans souci du qu'en-dira-t-on.




samedi 25 juillet 2015

Entrelacs

Publié aux Défis Du Samedi





En sculpture on dit que c'est le premier coup de couteau qui coûte... le mien c'était un Opinel n°13 - le fameux Géant avec sa bague double sécurité - cadeau de mon Oncle Hubert et qui n'avait jamais coupé que du saucisson et du sureau qu'on fumait en cachette avec les copains.
Mais cette fois-ci - par je ne sais quelle perversité propre aux femmes - Jeannette avait su m'arracher la promesse de graver nos initiales sur le gros poirier du père Martenot, pour la postérité et pour mon plus grand malheur!
Sa mère n'avait-elle pas mis le grappin sur le maire du village qu'elle avait épousé en secondes noces et réduit en esclavage?
Comme j'amorçais la découpe du «J» fatidique - un J comme Jocrisse, parfaite incarnation de la niaiserie et de la bonne poire que j'étais - je me vis marié et père d'une marmaille crottée et pleurnicharde à tel point que la lame dérapa pour ciseler comme une espèce de moustache.

A cet instant je ne sais ce qui s'opéra en moi mais mon bras fut pris d'une irrésistible frénésie créatrice au point que je disparus rapidement sous une montagne de copeaux.
Sous mes yeux ébahis naissait un vieillard hirsute aux yeux exorbités tandis que ma main armée lançait de terribles éclairs, taillant dans le tendre une bouche béante et deux grandes oreilles de bouc.
Une barbe aux méandres tarabiscotés ne tarda pas à se former jusqu'au sol comme autant de racines.
Un Rodin ou un Cesar s'était emparé de mon bras pour créer cette tête de vieillard, me sauvant du même coup d'un terrible destin. Au diable le père Martenot, il me restait à trouver une explication crédible pour Jeannette ou bien prendre mes jambes à mon cou.
C'est l'instant de l'ultime coup d'Opinel, de la touche finale qui signe l'oeuvre à jamais qu'elle avait choisi pour surgir: »Qu'est-ce que c'est qu'ce machin?»
Comment réfléchir vite quand le peloton d'exécution est en position de faire feu?
«Euh... c'est un totem, le totem de l'amour » bredouillai-je.
«Et pis? Où qu'elles sont nos initiales ? » rugit-elle.
Je cherchais désespérément un semblant de « J » et de « C » dans l'entrelacs de la barbe et n'en trouvant pas, je m'embarquai dans un discours stérile sur la symbolique du totem, sur cet emblème érigé à notre amour naissant et... comme une délivrance elle me coupa dans mon discours vaseux: »En plus, il louche ton totem!»
J'étais prêt à accepter bien des reproches mais pas qu'on accuse Rodin ou Cesar d'avoir affublé cette œuvre d'un strabisme divergent!
J'allais lui dire que c'était elle qui louchait mais je lui suggérai de se mettre bien en face du totem; malgré ça elle insista: »Où qu'elles sont nos initiales?»
A l'heure où les vrais amoureux, les grands, accrochent des cadenas aux parapets des ponts de Paris ou Singapour, je trouvais ridicule de graver nos initiales sur un poirier, mais j'avais pourtant promis.
«Je vais te les faire tes initiales!» criai-je en plantant l'Opinel dans l'oreille droite du vieillard.

Si vous passez un jour près de l'arbre-totem du père Martenot vous y verrez encore la profonde blessure que ma rage lui infligea...
L'humeur des femmes est changeante, je l'ai souvent observé par la suite mais je fus déconcerté quand elle lança: »Pas la peine! J'en veux plus» et elle tourna les talons qu'elle avait entre autres fort jolis.
Je ne revis jamais ses talons ni ce regard assassin qu'elle m'adressa.
Le totem de l'amour n'avait pas tenu sa promesse et un grand calme se fit dans le bois et dans ma poitrine.
Dans la même semaine, le père Martenot eut une attaque mais c'est une autre histoire, enfin je crois...




mercredi 22 juillet 2015

L'Aiguiseur Automatique d'Appétit


Parce que la faim justifie les moyens et que vous l'avalez bien, offrez-vous le triple A, l'Aiguiseur Automatique d'Appétit. 
 
 

 
Avec son goupillon à échelle pantagruélique graduée de 1 à 10 vous adapterez son débit depuis “appétit d'oiseau” jusqu'à “yeux plus gros que le ventre” en passant par “petite faim” ou “fringale”.
Principe: On place les aliments sustentateurs dans la parpignolle en forme d'entonnoir tandis que le candidat à l'appétit prend en bouche le machin en forme de tube digestif situé à droite (vue actuelle) ou à gauche (vue inversée) ou nulle part (perdu de vue)
En tournant le zigouigoui vers la gauche - position “Zéfin” - on enclenche l'aiguiseur d'appétit jusqu'à ce qu'appétit s'ensuive.
Si l'appétit ne vient pas, contacter le service après-vente en ligne - code Çamarchepa - ou le médecin le plus proche du point de vente.
Un générateur de souhaits - en option sur la version 0.0 - dispense selon la langue choisie “Bon appétit, Bouan appetit qu'agas, Enjoy your meal, Smacznego ou Velbekomenn”.
Si la clavette, la béquille et le robinet ne servent à rien, le vilebrequin permet l'écoulement du surplus “d'eau à la bouche” vers un biniou amovible et lavable en lave-vaisselle.
Le bigoudi aérophagique muni d'un clapet anti-retour évite les refoulements intempestifs.

Mode jeûne: Accessible au moyen d'un petit bitoniot, il ne donne rien, vraiment rien à part un sentiment de frustration bien compréhensible.
Mode ramadan: Le bitoniot possède une mollette astronomique réglée sur l'horloge de la grande mosquée de Paris.

A la fin du processus, on coupe l'appétit en tournant le zigouigoui vers la droite - position “Zéplufin” - puisqu'on l'avait enclenché en le tournant vers la gauche, position “Zéfin”.
Nota: La position centrale du zigouigoui est anormale; en cas de blocage dans cette position, contacter le service après-vente en ligne mais pas le médecin le plus proche du point de vente.

L'Aiguiseur Automatique d'Appétit est garanti six mois et payable en une seule fois sans frais.
Méfiez-vous des contrefaçons dont même les oies du Périgord ne voudraient pas!

(Les slogans “La faim justifie les moyens” et “Parce que vous l'avalez bien” sont des slogans déposés au titre de la marque Cékoidon)
 
Publié aux Impromptus Littéraires

samedi 18 juillet 2015

Le maître des options

Publié aux Défis Du Samedi sur le thème: Options






“Vous la faites aussi en gris?”
“Bien sûr Monsieur, gris cyclone, gris dolmen, gris cormoran, gris neptune, gris plu...”
“Euh... un gris neutre, juste gris quoi”
“Juste gris... c'est possible mais c'est une option Monsieur”
“Alors je vais la prendre gris cyclone en quatre portes”
“Ah non Monsieur, en quatre portes c'est gris neutre... mais en option”
“Alors retirons deux portes et disons gris cyclone”
“C'est un excellent choix Monsieur car sur ce modèle vous avez de série le correcteur d'assiette automatique, l'aide au stationnement automatique, le programme de stabilité électronique automatique et le détecteur d'angle mort automatique”
“Donc tout automatique quoi!”
“Oui sauf l'aide automatique au freinage d'urgence qui est en option”
“Sinon je ne pourrai pas freiner en cas d'urgence?”
“Sauf si vous avez pris l'option Contrôle de freinage en courbe, auquel cas l'aide au freinage d'urgence n'a plus de raison d'être”
“Oui mais je ne pourrai freiner en urgence que dans les courbes?”
“C'est tout à fait ça, ou alors tourner le volant pour faire croire au Contrôle de freinage en courbe que vous êtes dans une courbe”
“Euh... et pour les freinages d'urgence en ligne droite, c'est une option?”
“Tout à fait, c'est l'option Amplification du freinage d'urgence mais c'est offert si vous prenez l'option Affichage tête haute sur le pare-brise”
“Euh... Quel rapport avec le freinage? Il faut avoir la tête haute pour freiner en ligne droite?”
“Non Monsieur, ça n'a aucun rapport, c'est le principe des options, tout comme l'airbag de lunette arrière est compris dans l'option Carte SIM intégrée dans l'habitacle”
“Donc pas de carte SIM, pas d'airbag arrière?”
“Vous avez bien compris”
“Et il y a d'autres options à tiroir comme ça?”
“Oui Monsieur, le contrôle automatique de la pression des pneus vous donne droit au kit de réparation de roue de secours”
“Ah? Parce qu'il y a une roue de secours en standard?”
“Oui Monsieur mais la seconde roue de secours pour secourir la première est en option”
“C'est drôlement bien fichu! Et pour les enfants, vous avez prévu quelque chose?”
“Oui mais uniquement sur les versions quatre portes, cela va de soi”
“Ah? Alors tant pis pour le gris cyclone mais je vais devoir prendre une quatre portes”
“Bien, dans ce cas vous apprécierez l'option siège-enfant chauffant avec couche-culotte automatique intégrée et en plus le kit fumeur est offert”
“Je vous demande pardon... vous n'auriez pas plutôt un kit non fumeur?”
“Si Monsieur mais c'est une option différente qui comprend aussi l'AFILDACP”
“La file da quoi?”
“ l'AFILDACP: l'Alerte au franchissement involontaire de ligne par détection automatique de clignement des paupières”
“Euh... et ça sert à quoi?”
“A vous prévenir que vous venez de franchir involontairement une ligne axiale de séparation des voies au motif que les clignements des paupières, leur fréquence, le degré d’ouverture des yeux et la direction du regard traduisent un certain degré de fatigue et que...”
“D'accord! D'accord! Et donc il me reste à enclencher l'aide au freinage d'urgence”
“Même pas Monsieur, puisque c'est automatique... sauf si vous n'avez pas prévu cette option”
“Je comprends... j'ai tout intérêt à prendre cette option si je veux rester en vie pour pouvoir profiter pleinement des autres options”
“Exactement Monsieur, d'autant que dans cette configuration particulièrement riche on vous offre un tatouage”
“Euh... non merci, je suis douillet et ma femme n'aimera pas ça”
“Je parlais de la voiture Monsieur, pas du conducteur!”
“Ah! Pardon... et le tatouage ressortira bien sur mon gris?”
“Certainement pas Monsieur, pour cela il faudra changer la couleur aux endroits du tatouage, c'est l'option Automatic Tatoo Contrast”
“Et bien on va oublier l'option AFILDACP”
“Bien Monsieur, donc je note: pas de kit non fumeur”
“Pardon?”
“C'est le jeu des options Monsieur... mais vous pourrez toujours baisser votre vitre pour les fumeurs”
“Ah? On peut baisser les vitres... en standard?”
“Non, pas en standard Monsieur mais avec l'option Assistance au démarrage en côte”
“Donc pas de démarrage en côte, pas de vitres qui se baissent?”
“Vous avez bien compris! Par ailleurs puis-je vous conseiller l'Ouverture du coffre sans les mains, puisque vous avez des enfants?”
“Euh... je ne me souviens pas que nous ayions parlé d'un coffre”
“Mais vous avez droit au coffre avec l'option siège-enfant chauffant puisque le coffre contient les recharges de couche-culottes”
“D'accord! Et bien je vais prendre tout ça. Si vous pouvez me fournir une estimation sur cette base...”
“Pas de problème Monsieur. Je vous fais parvenir l'offre définitive sous un mois”
“Un mois?”
“Oui Monsieur, à moins que vous ne souscriviez à l'option Quick Configuration Quotation, auquel cas vous recevrez l'offre définitive sous trois à quatre semaines”
“Euh... non merci. Je vais attendre”
“Comme il vous plaira Monsieur, chez nous le client est maître des options”


mercredi 15 juillet 2015

La madeleine de Gargantua

Les Impromptus Littéraires s'interrogent: Que reste-t-il de nos enchantements ?





J'ai perdu l'odorat et le sucre ennemi
moi qui gargantuais au temps du biberon
qui bouffais et buvais autant qu'un pochetron
j'ai bien trop de rondeurs et trop de glycémie.

J'ai perdu l'appétit d'un plat de boeuf en tripes
pourtant je me torchais aux oisons duveteux
délicieusement pissais jusques aux cieux
j'ai la panse ventrue, la prostate en tulipe.

Espérer d'autres mondes ou croire en celui-ci?
Où est l'enchantement... au fond des pharmacies?
Je suis à cent pour cent, de quoi me réjouir?

Petite madeleine au bon goût de thé vert
ravive au fond de moi ce lointain souvenir
que Proust ressentit un triste soir d'hiver


dimanche 12 juillet 2015

Foutu paradis

Publié sur le site MilEtUne d'après Gauguin





“S'il te plaît... dessine-moi un mouton !”
“Laisse-moi petit, tu vois pas qu'je bosse?”
Je suis resté le pinceau en l'air. Ce gosse nu comme un ver devait avoir dix ans et l'air effronté des mômes polynésiens de son âge.
“Qu'est-ce que tu fais?” me demande t'il en tournoyant autour de mon chevalet comme un sioux qui aurait déterré sa hache de guerre.
Mes deux nymphes tahitiennes se marrent comme des baleines en s'ébrouant dans les vagues océanes.
Je leur avais pourtant ordonné de ne pas bouger avant que j'en aie fini avec le pataquès de couleurs de ces foutus paréos... des fleurs de tiaré d'un jaune pas vraiment jaune, le tissu d'un bleu pas tout à fait bleu!
Et les voila qui s'agitent, qui se déloquent sans pudeur et plongent dans la grande bleue.
Ce morveux fiche tout par terre et salope mon oeuvre!
“Tu verras” m'avait dit Cézanne “ici c'est le paradis”
Tu parles d'un paradis! Ici on m'accuse d'exploiter les gens à des fins commerciales, de faire de la traite de vahinés et que sais-je encore...
“Alors? Et mon mouton?” insiste le morveux.
“Dégage petit... je sais pas faire les moutons”
C'est sorti comme ça, sans réfléchir comme si je n'avais jamais rien appris de mes maîtres, Pissarro et les autres!
“Tu sais faire quoi à part peindre ma mère?” me répond-il effrontément.
“Ta mère? C'est laquelle ta mère?”
Il me désigne celle aux formes pleines qui s'ébroue nue dans les vagues.
Ca doit être une habitude chez eux de se trimballer à poil.
Il commence à m'agacer ce gamin.
“Et ton père, c'est celui qui pêche au harpon derrière elle?”
“Peut-être. Je sais pas qui c'est mon père” répond-il en levant les yeux au ciel.
C'est vrai qu'ici il y a plus de manu tipao (hommes volages) que de manu paari (hommes sages).
“Et puis ma mère elle est pas vraiment comme ça” ajoute t-il en touchant ma peinture d'un doigt crasseux.
Je sens que je vais péter un plomb: “Moi c'est comme ça que je la vois, petit. Maintenant va jouer ailleurs!”
“Avec mon mouton?”
Il s'est campé devant moi, prêt à en découdre:” Tu vas l'appeler comment ta peinture?”
Je n'avais pas réfléchi à ça, alors j'improvise: “Euh... près de la mer”
Il fait la grimace: “Alors appelle ça... Fatata te miti... c'est mieux pour toi”
Je ne vois pas en quoi c'est mieux pour moi mais je n'ai qu'une envie, qu'il aille au diable et me laisse finir les jaunes et les bleus des paréos.
“Va pour Fatata te miti
Comme il s'éloigne je le rappelle malgré moi: “Tu le veux comment ton mouton?”
J'ai sorti mes fusains et une feuille blanche. Il a le sourire aux lèvres et je sens sa main sur mon bras...
Plus loin deux vahinés au rire clair s'ébattent nues dans l'écume des vagues.
Foutu paradis!


samedi 11 juillet 2015

Batifolage folklorique

Publié aux Défis Du Samedi






“Tu vas pas me croire, Lucien mais tantôt j'ai vu un lutin”

“J'te crois pas”

“J'en étais sûr! Pourtant j'ai vu un lutin tantôt!”

“Il était comment ton lutin? Avec un chapeau rond comme la dernière fois?”

“Moque-toi! J'te parle pas du korrigan... cette fois-ci c'était un lutin, un vrai”

“Et y ressemblait à quoi ton vrai lutin?”

“C'est un peu comme un gnome mais en moins bronzé, tu vois?”

“Comme le père Fromageot?”

“Non! Un peu comme un elfe mais en moins suédois, tu vois?”

“Euh... non, mais si ton lutin avait un foulard jaune à pois rouges ça doit être Oui-Oui”

“Non-Non! Un vrai lutin j'te dis! C'est pourtant pas difficile à comprendre”

“Et c'était quand?”

“J't'ai dit tantôt”

“Mais à quelle heure de tantôt?”

“Qu'est-ce que ça peut bien foutre, l'heure qu'il était?”

“C'est pour savoir combien d'pastis t'avais déjà pris chez Eugène!”

“Moque-toi! Justement j'allais y faire mon tiercé et comme d'hab il était cinq heures et quart”

“Cinq heures et quart? Alors ton lutin sortait d'chez la Germaine”

“Qu'est-ce qu'un lutin serait allé faire chez la Germaine?”

“Ben, comme les autres... y s'rait allé la lutiner, pardi!”

“La quoi?”

“La lutiner... un lutin, c'est fait pour lutiner... c'est bien connu, comme un Marivaux marivaude, comme un asticot asticotte, comme un poinçonneur poinçonne, com...”

“Oui ça va! Elle est pas endormie la Germaine, batifoler ou la bricoler à la rigueur mais la lutiner... et puis d'abord c'est pas possible”

“Pourquoi ça? Y a pas plus gourmande que la Germaine et une douzaine de lutins pour l'apéro ça lui f'rait pas peur”

“Sauf que le mien y fait à peine trente centimètres debout”

“Trente centimètres? C'est qu'du bonheur pour la Germaine!”

“Qu'est-ce que t'en sais? Tu connais ses fantasmes à la Germaine?”

“Non mais c'est l'père Leroux qui m'l'a dit et lui il annonce vingt centimètres!”

“Tu dérailles mon vieux. Mon lutin doit faire trente centimètres avec le bonnet”

“En tout cas s'il avait un bonnet, c'est un lutin qui sait s'tenir”

“Ouais, j'ose pas imaginer le croisement entre un lutin et la Germaine. Comment ça jaserait au village”

“Ca risque pas! La Germaine elle a l'esprit pratique, elle prend qu'des gars avec bonnet... les sans bonnets elle prend pas”

“Pourtant le maire n'en porte pas, lui”

“Ouais mais l'maire c'est pas pareil. Lui il lutine pas... il administre”

“Euh... c'est quoi la différence?”

“La différence est énorme! Il est comme qui dirait agent de l'Etat et agent d'la commune à la fois... ça s'appelle une double casquette”

“Ouais ben tu m'ôteras pas de l'idée qu'une double casquette ça remplace pas un bonnet!”

“Où il est parti ton lutin en sortant d'chez la Germaine?”

“Il s'est arrêté devant chez Eugène pour boire dans la gamelle du chien”

“La gamelle de Killer, le doberman?”

“Comme je te vois! Faut déjà avoir vachement soif”

“Et il a pas eu peur du molosse?”

“Tu sais, s'il a pas eu peur de la Germaine...”

“C'est pas faux, c'est qu'une grande gueule et du poil rude tout ça... et après il est allé où?”

“Après il s'est évanoui”

“Ah... il était vraiment sur les rotules... sacrée Germaine”

“Non, il s'est évanoui dans la nature... Pffft”

“ Pfiiit?”

“Non, Pffft... il a fait Pffft comme un lutin, quoi! C'est le gnome qui fait Pfiiit”

“Oh tu m'embrouilles avec tous tes pygmées!”

“Euh... le pygmée, c'est encore différent, Lucien... si tu veux c'est comm...”

“Tu m'gonfles!!”






lundi 6 juillet 2015

Les poings sur les ï

Publié aux Impromptus Littéraires... en sortant de l'école




En sortant de l'école

j'ai entrepris Nicole
qui partait pour Lisieux
oui mais... avec ses vieux

En sortant du collège
j'ai accosté Nadège
mais elle était pressée
ou pas intéressée

En sortant de la fac
en érotomaniaque
j'ai pris des cours du soir
avec la prof d'Histoire

En sortant du bahut
j'ai vu un grand chahut
je me suis approché
et j'ai pris un crochet

En sortant du gymnase
j'ai croisé deux gros nazes
les frangins Tapedur
des pourris, deux ordures

En sortant du taxi
j'ai frisé l'asphyxie
rapport aux pansements
serrés trop fortement

En sortant de l'hosto
j'ai croisé Benito
mais depuis février
sa soeur était mariée

Sortant de son armoire
ce fut jubilatoire
car le mari parti
j'ai troussé Maritie

Sortant de l'ascenseur
j'ai vu mes agresseurs
et aussi le mari
un sacré gabarit

En sortant du coma
on m'a mis en trauma
elle, c'est Naïma
avec un 'i' tréma

En sortant de clinique
finies les rimes en nique
j'épouse Naïma
et son joli tréma



dimanche 5 juillet 2015

Boum

Publié sur le site MilEtUne





“Je crois qu'on est tombés sur un sanctuaire” dit Ekron avec un petit sifflement admiratif.
Entre les carcasses vides et privées de leur âme, la pelle télescopique avait réussi à dégager quelque chose aux couleurs indéfinissables entre beige et brun.
“Qu'est-ce que ça peut être?” demanda Pip.
“Un minitel” dit Ekron en consultant son détecteur “c'est bien la première fois que je vois un terminal de services téléphoniques”
“De services téléfo... quoi?” demanda Pip, “ce machin-là est aussi vide que toutes ces carcasses d'écran et d'ordinateurs... on dirait qu'ils se sont entre-dévorés!”
“... ou bien qu'un prédateur les a vidés de tout ce qu'il y avait de précieux à l'intérieur” répondit Ekron.
Pip creusa plus profondément dans la montagne de coques entassées et en extirpa une étrange boîte blanche et noire: “Qu'est-ce que c'est encore que ce truc?” dit-il.
Ekron pointa à nouveau son détecteur et annonça :”C'est de la bakélite... un poste Ducretet-Thompson époque 1946”
“Et en clair, bakélite ça veut dire quoi?” demanda Pip.
“J'en sais rien. Tout ce qui n'a pas de clavier et d'écran m'est étranger. Je découvre comme toi que ça date de l'époque de la TSF” précisa Ekron “au dix neuvième siècle des petits malins ont imaginé ce moyen pour informer et éduquer les peuples, et puis on a trouvé mieux”

Pip frissonna, ici le soleil était glacial :”Si on creuse plus profond... Dieu sait ce qu'on va trouver”
“Dieu n'y est pour rien” répondit Ekron en plongeant à son tour la pelle dans les profondeurs du sanctuaire.
Sous leurs yeux ébahis une corolle de tôle noire sortait du gouffre tel un ptérosaure antédiluvien.
Une inscription en lettres dorées se révéla aux rayons bleu du détecteur et ils déchiffrèrent ”Thomas A. Edison” mais le seul détail qu'ils purent trouver fut le mot Phonograph.
Après deux minutes, Ekron obtint enfin la liaison avec ses collègues restés “à la maison” mais les informations étaient maigres.
“Notre base de données est bloquée à l'année 1880” déclara Ekron, dépité “mais on pourrait trouver les pièces manquantes à ce Phonograph, un cylindre d'étain ou de cire et peut-être un moteur rudimentaire”
“Et ça servait à quoi?” demanda Pip.
“J'en sais fichtrement rien, peut-être un jouet d'enfant” dit Ekron “mais tout ce qu'on trouvera en dessous a une valeur inestimable, tout l'héritage de nos ainés”

A force de creuser ils exhumèrent tour à tour un téléphone à cadran rotatif, un manipulateur Morse, une machine d'arithmétique et enfin un lit de poudre noire que le détecteur assimila à un mélange de soufre, de salpêtre et de charbon de bois.
C'est là que des siècles après la dynastie Tang et l'ayant enflammée par pure curiosité, Ekron et Pip n'eurent pas le loisir d'entendre cette formidable déflagration qui secoua la région sur des kilomètres et inhuma définitivement des siècles d'inventions et les deux découvreurs...