dimanche 26 juillet 2015

La guerre des pains d'épices

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration




Quand sonnait quatre heures à la pendule du salon, Oncle Hubert déclarait qu'il se retirait dans sa chambre, non sans avoir accroché le piège à guêpes au gros peuplier de la cour, car à cette saison les traîtresses attirées par notre goûter nous auraient embrochés sans pitié.
Son rituel accompli, l'oncle laissait là sa chaise vide - que personne ne se serait permis d'emprunter - tandis que mes cousins et moi prenions place sur les bancs.
“Le goûter, c'est bon pour les filles” clamait-il en éructant bruyamment tandis que tante Anastazia secondée par Adèle débarquait de la cuisine, les bras chargés de pâtisseries.
Un éternel sourire au coin de la bouche, notre tante polonaise ne répondait pas, convaincue que seule la jalousie dictait son propos.
Notre oncle était bien trop rustre - disait-elle - pour apprécier le raffinement d'un gâteau de riz au fromage frais ou d'un pain d'épices polonais, son fameux piernik qu'elle laissait “mûrir” six semaines au frigo!
Lui ne jurait que par les plaisirs incomparables de notre Bourgogne dont le seul et unique pain d'épices de Dijon, le fameux Mulot&Petitjean et puis les pets-de-nonne à la fleur d'acacia et les beignets de gaudes.
De son côté elle faisait - parait-il - le meilleur Sekacz de Poznan d'où elle était originaire, un sublime gâteau au citron cuit à la broche.
“Rien qu'à dire Sekacz” disait Oncle Hubert “on attrape la pépie à en boire la mer et les poissons!”
Dans ces conditions, on les imaginait mal partager un goûter sans se disputer et de toute évidence, les deux fillettes vides de Zubrovka - la wodka à l'herbe de bison - abandonnées derrière nous en disaient long sur l'état de fatigue de nononque!

Alors commençait pour nous le moment le plus festif de la journée, une orgie de sucreries et de thé noir au citron joyeusement perturbée par les jappements de Gonzo le gros chien jaune et ces batailles de gratte-culs qui faisaient pleurnicher les cousines!
Trop occupée à jacasser avec Adèle, tante Anastazia ne s'interposait pas dans ces empoignades dont les échos ne troublèrent jamais les ronflements d'Oncle Hubert, si bien que le carillon de cinq heures nous surprit souvent maculés, poisseux et bons pour la douche du soir...
Que le goûter soit une occupation de filles ou pas, j'attendais chaque jour ce moment de voluptueuse jouissance sans souci du qu'en-dira-t-on.




2 commentaires:

  1. Comme disait mon ami Antoine, un Libanais époux d'une Polonaise, le plus dur, c'est pas de s'empiffrer de Makowiec, c'est de devoir broyer les graines de pavot !
    Mais il ne m'a jamais dit avec quoi il le faisait passer...

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  2. Quel que soit son pays, l'homme a toujours eu beaucoup d'imagination pour inventer les breuvages adéquats !!

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