lundi 31 août 2015

Sélène et les garçons

Publié aux Impromptus Littéraires d'après les rimes de "Clair de lune" de Paul Verlaine






C'était à l'Opéra, je n'avais rien choisi
on y jouait Fauré, «Masques et bergamasques»
elle était devant moi, offerte, enfin quasi
la croupe ensorcelante et l'œillade fantasque

Elle avait du vécu et moi j'étais mineur,
la baignoire tordue, obscure et opportune
ainsi j'allais goûter au suprême bonheur
je voulais son jardin, elle m'offrit la lune...

Les accords dissonants sont dit-on les plus beaux
Ouverture, allegro, nous grimpâmes aux arbres
mais pour nous séparer il fallut un seau d'eau
Dans la fosse - blasé - l'orchestre était de marbre


Moralité : Un faux ré n'empêche pas le sot do


samedi 29 août 2015

Gueule de bois

Publié aux Défis Du Samedi








Je transpirais à grosses gouttes à tel point que je crus bien avoir pleuré.

Je repoussai une espèce de couverture laineuse qui pesait sur mes jambes et il y eut comme un jappement joyeux.

Une couverture qui baille passe encore mais qui aboie, c'est saugrenu et je mis ça sur le compte d'un excès de Champomy!
C'est vrai que la veille avec les potes on avait bien forcé sur le pommes-raisins pour fêter mes six ans; j'en connais même qui étaient allés vomir dans la salle de bains...

On aboyait et pourtant il n'y avait que des chats dans la maison.

J'ouvris les yeux tout à fait: la couverture laineuse était en fait un clébard, un drôle de croisement de West Highland white et de Saint-Bernard ou plus exactement de Saint-Maclou, une moquette frisottée un peu comme chez tante Huguette avec la même odeur de chien mouillé.

J'ignorais qui avait mis ce clebs dans ma chambre tout comme j'ignorais qui m'avait affublé d'un costume marin ringard et trop grand pour moi... à moins que j'aie tout oublié d'une soirée déguisée.



Bizarrement la chambre était éclairée par une lampe à abat-jour perchée sur une espèce de colonne corinthienne que n'aurait pas boudée mon arrière grand-mère.

Le mieux était encore de se rendormir en essayant d'oublier ce mauvais rêve mais - sans doute une facétie d'un antique designer grec - la lampe n'avait pas d'interrupteur et un furieux hennissement acheva de m'éveiller tout à fait.

Pourtant il n'y avait que des chats dans la maison. Je sais, je l'ai déjà dit mais si ça n'aide pas, ça ne peut pas faire de mal de s'en souvenir.

Le hennissement sortait d'un grand canasson qui venait de faire irruption devant moi, caracolant, ruant et freinant des quatre fers ou plutôt des quatre roulettes qui l'équipaient!

C'était un de ces bourrins moitié-carton-bouilli moitié-papier-mâché et monté sur chariot comme ce cheval de Troie dont on parlait dans les livres d'histoire.

Je me suis toujours demandé qui faisait bouillir le carton et combien de personnes s'embêtaient à mâcher du papier toute la journée pour nous fabriquer toutes ces cochonneries, mais là n'était pas le sujet à cet instant.



“Salut” dit-il dans un rire chevalin “je m'appelle Tornado”

Le seul Tornado que je connaissais et qui possédait les mêmes roulettes était celui que ma mère traînait de pièce en pièce à la recherche de moutons à aspirer!
Je parle d'une époque où les aspirateurs avaient des sacs et faisaient assez de bruit pour qu'on invente aussi les boules Qiès!

“Et moi, nom d'une pipe je suis Popeye” répliquai-je en tirant sur mon costume de petit marin.

“Certainement pas!” aboya le croisé West Highland-moquette “c'est moi qu'on appelle Popeye! Je suis né l'année des 'P' ”

L'année des pets... je réalisai que l'odeur devait venir de là.

J'avais du mal à imaginer un clebs mangeant des épinards aussi - l'ayant définitivement repoussé d'un grand coup de pied qui l'envoya sous le lit - je décidai d'enfourcher mon dada.

Le canasson avait dû oublier de serrer le frein à main car à mesure que j'enjambais sa selle de carton bouilli, il recula si brusquement qu'il renversa l'abat-jour athénien qui s'éteignit tandis que les Perses perçaient et que les Satrapes s'attrapaient... situation si rocambolesque qu'un auguste inconnu la décrivit ainsi.

Comme quoi on ne se méfiera jamais assez d'un cheval de Troie.



Plongé dans le noir complet - fuyant les Athéniens, les Perses et les Satrapes - je regagnai mon lit sous les hennissements moqueurs du cheval et les jappements étouffés du croisé West Highland-Saint-Maclou.

Un rai de lumière apparut soudain sous ma porte et je reconnus la voix de mes parents :”Vas-tu t'endormir à la fin?”



C'était juré. Demain, j'arrêterais le Champomy.









mardi 25 août 2015

Mon musée des petits bonheurs


 





Comment évoquer mes petits bonheurs sans parler du cérémonial de Chabrot - en cinéphile averti, notre oncle Hubert disait Chabrol - j'avais toujours vu les anciens rafraîchir le fond de leur assiette de soupe avec une grande rasade de Passetoutgrain et on jouait entre cousins à qui imiterait le mieux leurs grands Sluurp qui ponctuaient ce rituel ancestral.
Qui était ce Chabrot ou Chabroù? Sans doute un bienfaiteur de l'humanité à en croire les yeux pétillants des vieux.
De mauvaise grâce Tante Anastazia s'y était mise elle aussi, même si rien n'égalerait jamais son infâme wodka frelatée à l'herbe de bison.
Un lointain cousin des Baux de Provence qui connaissait Mistral par cœur soutenait que l'expression venait de cabroù parce qu'on boit dans son assiette comme le ferait une chèvre, mais Oncle Hubert qui avait vu Le beau Serge en cinémascope au Louxor ne jurait que par son Chabrol.

Au musée des petits bonheurs je me dois d'évoquer l'incontournable ban bourguignon qu'on entonnait dans les banquets et surtout au dessert après quelques chansons paillardes dont j'ignore l'air et les paroles puisqu'on nous envoyait voir ailleurs si on y était!
Quiconque sait chanter “Tra la... Tra la... Tra la la la lère...” en approchant les mains en forme de coupe à hauteur de sa trogne pour les faire tourner comme si on regardait à travers est sans le savoir un pro du ban bourguignon.
Mes cousins et moi-même avions inventé une variante à une seule main qui permettait de pincer les fesses de la voisine; du coup, nos vieux avaient copié cette même variante pour nous coller une torgniole en retour.
A quoi ça tient un petit bonheur? A deux maigres onomatopées, cinq petites notes et neuf claquements de mains, pourtant ces simples scènes de liesse me font encore frissonner aujourd'hui.
Au XXIème siècle on ne chante plus, on fait des selfies qu'on poste aussitôt sur fesse de bouc, histoire de montrer sa tronche, son cul ou deux doigts d'honneur au monde entier et puis on va faire la sieste...
Et le kir, le vrai, celui avec un K majuscule pour lequel notre chanoine dijonnais céda l'usage commercial de son nom?
Ce petit bonheur tient en trois lettres et dix centilitres mais c'est magique.
Un vrrrai blanc-cass, m'sieurs dames c'est un tierrrs de vin blanc cépage aligoté et deux tierrrs de crrrème de cassis à 20°. Ajoutez-y un bon tierrrs d'accent bourrrguignon en rrroulant les 'R' et ces quatrrre tierrrs vous envoient tout drrroit au parrradis!!
Et pis chez nous on n'en boit jamais un seul mais deux.
“Vindiou! Tu vas pas rrrepartirrr sur une seule jambe!” disait notre voisin qui un beau jour ne remonta jamais de sa cave (sacrrré Dudule)
Taratata! Vous repasserez avec vos communards au vin rouge, rince-cochons, kir gaulois à l'hydromel, breton au cidre, royal au crémant ou impérial au champagne! Pourquoi pas un kir alsacien à la Kro tant qu'on y est?

Au cas où mes petits bonheurs vous auraient ouvert l'appétit, je terminerai par les escargots qu'on sert aux fêtes joyeuses et aussi aux enterrements, pourquoi pas aux enterrements ?
Si aujourd'hui l'escargot de Bourgogne arrive tout droit et sans se presser des pays de l'Est, à mon époque il naissait, vivait et mourait chez nous... pour les enterrements.
Pour ces funestes réjouissances le plat de cagnoles était servi religieusement avec un sachet de cendres adjoint à sa cuisson pour figurer une sorte d’hommage rendu aux cendres du défunt.
Oncle Hubert rompu aux cérémonies funèbres y allait toujours du même bon mot pour mettre un semblant de gaieté à la cérémonie: ”Si haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres” disait-il en ignorant l'oeillade assassine de tante Anastazia.
Je réalise que ces petits bonheurs sont autant de coutumes qui éveillèrent ma curiosité de gosse et forgèrent mon palais - je veux dire mon caractère - et je me dois de terminer par cette vérité qu'Oncle Hubert ne manquait jamais d'asséner à son Anastazia : ”Les coutumes comme les femmes, sont faites pour être respectées et bousculées aussi”.



samedi 22 août 2015

Gérard ou parfum de sandale

Publié sur le site MilEtUne et largement inspiré de Gérard ou le dernier des mocassins







"Chérie... Hum... t'as l'intention de sortir comme ça?»

«Ben non, gros naze! J'vais passer une robe»

«Oui, je m'en doute ma chérie... je te parle des sandales»

“Des sandales? Quelles sandales? On dit pas sandales quand c'est des Zabattigli!”

“Et alors? Tous ces machins que tu emportes à la plage c'est bien des sandales, non?”

“Sauf que c'est des Zabattigli d'Anacapri, Môssieur! T'y connais rien”

“Anacapri? Mais c'est fini depuis longtemps... tu connais pas la chanson? Anacapri c'est fini...”

“Très drôle. C'est des Zabattigli faites à la main à Anacapri, gros naze”

“Bref... et tu vas oser porter ça chez nos amis?”

"S'cuse moi. Une femme porte ses vêtements, mais c'est les Zabattigli qui portent la femme"

Euh? C'est de toi, ça ?”

Non, c'est un italien qui a piqué ça à Louboutin mais tu peux pas comprendre”

“Je ne peux pas connaître le nom de tous les fabricants de sandales”

“Un fabricant d'sandales? Des espadrilles créées par Constanzo Ruggiero ? Quelqu'un qui habille les pieds de Brigitte Bardot, de Grace Kelly, de Greta Garbo, de ...”

“Euh... pas sûr que Greta Garbo les porte encore! Tu devrais garder les pieds sur terre, Germaine Blanchard”

"J'suis p't-être que Germaine Blanchard mais j'suis authentique comme autrefois les pêcheurs de Capri. Pas comme toi sur un piédestal de mocassins à glands, Gérard Blanchard»

«Excuse-moi mais si les espadrilles étaient si merveilleuses que ça, c'est les hommes qui les porteraient»

“Dans tes rêves, Gérard! Si tu crois que j'vais t'les prêter. Autant donner des mocassins à un cochon”

«Euh... on dit marcassins, chérie, pas mocassins »

«Je ne peux pas connaître le nom de tous les cochons, le tien me suffit»

“En tout cas, elles puent tes espadrilles! Ton cordonnier doit avoir mauvaise alêne”

“T'y connais rien en fragrances d'espadrilles, celles-ci sentent la vanille. Et pis tu t'soucies pas mal que j'aie les mollets sculptés, une démarche souple, féline, Fellini même... italienne... les filles vont être malades quand elles vont m'voir arriver avec le must-have de l'été!”

“Euh... les rayures bleues, ça fait pas un peu must-have de bagnard”

“Et alors, Gérard Blanchard, t'as jamais vu des pan bagnards sur la plage?”

“Si, d'ailleurs pour le prix de tes sandales j'aurais eu cinquante sandwiches au thon”

“Quel thon? Mesure tes paroles, Gérard”

“A propos de mesure, t'es sûre qu'elles sont pas trop petites?”

“Sache que ça se détend après quelques heures, alors vaut mieux prendre une taille au dessous”

“Se détendre après quelques heures? J'aimerais bien que ça m'arrive”

“Avec tes mocassins, même après quelques heures t'as toujours l'air d'un gland contrairement à George Clooney qui a fait le même choix que moi, Môssieur... et en plus ils sont doublés!”

Ça ne m'étonne pas que Clooney soit doublé”

«Je parlais des espadrilles, Môssieur, pas de George»

«De George? C'est vrai que vous êtes intimes depuis que vous buvez le même caoua dans les mêmes sandales!»

«On dit pas sandales quand il s'agit de Zabattigli”

«Tu l'as déjà dit»



(Soupir anacaprien)








Gérard ou Le dernier des mocassins

Publié aux Défis Du Samedi 






"Chérie... Hum... tu as l'intention de sortir comme ça?»

«Ben non, gros naze! J'vais passer une robe»

«Oui, je m'en doute ma chérie... je te parle des chaussures»

“Des chaussures? Quelles chaussures? On ne dit pas chaussures quand ce sont des Louboutin!”

“Et alors? Tous ces machins qui encombrent les placards et qu'on met aux pieds c'est bien des chaussures, non?”

“Sauf que c'est des Louboutin, Môssieur! T'y connais rien”

“Du loup-bouquetin? J'ignorais que ça pouvait se croiser... après on s'étonnera que la nature fout le camp!”

“Des Lou-bou-tin, gros naze”

“Bref... et tu vas porter ça pendant toute la soirée chez nos amis?”

"S'cuse moi. Une femme porte ses vêtements, mais c'est la chaussure qui porte la femme"

Euh? C'est de toi, ça ?”

Non, justement c'est d'Louboutin”

“Connais pas. Je ne peux pas connaître le nom de tous les marchands de pompes”

“Un marchand d'chaussures? C'est juste un créateur mondialement connu, Môssieur. Il habille les pieds de Monica Belluci, Paris Hilton, Katie Holmes, Kim...”

“Arrête ton char! Garde les pieds sur terre, Germaine Blanchard”

"J'suis p't-être que Germaine Blanchard mais j'vis au sommet. Pas au ras du sol comme toi avec tes mocassins à glands, Gérard Blanchard»

«Excuse-moi mais si les talons hauts étaient si merveilleux que ça, les hommes en porteraient»

“Dans tes rêves, Gérard! Si tu crois que j'vais t'les prêter. Autant donner d'la confiote à un porc”

“En tout cas, tes hauts talons ne rallongent pas ta robe”

“T'y connais rien. Et pis tu t'soucies pas mal que j'aie les mollets galbés, une démarche élégante, souple, féline, sensuelle... les filles vont être malades quand elles vont m'voir arriver!”

“Ouais... si tu arrives à la porte sans te casser la figure”

“Pff! Question d'entraînement, Gérard Blanchard. C'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas une fois qu'on maîtrise la technique”

“Parce qu'il y a une technique chez Louboutin? Je vois ça d'ici: Chez Louboutin, la technique du patin sans baratin pour le gratin”

“T'es nul, Gérard. Même qu'y a une application pour ça sur smartphone: Je déroule le pied en faisant des p'tites foulées, droite comme un Y”

“Droite comme un Y? Je demande à voir”

“Parfaitement, la tête haute, je regarde l'horizon en balançant les bras, les épaules bien en arrière, le ventre rentré...”

“Tu crois que tu vas réussir à rentrer le ventre?”

“Et toi, tu crois qu'tu vas réussir à dire aut'chose que des conneries? Aïe! C'est malin. Tu m'as fait tordre les pieds!!”

“Et toi, tu me fais tordre de rire”

“En attendant, aide-moi à fermer ma robe, Gérard Blanchard”

“Hum... cette robe... ça se porte ou ça se chausse?”

(Soupir et haussement d'épaules louboutiné)




dimanche 16 août 2015

Viande froide

Publié sur MilEtUne d'après l'oeuvre de Stéphane Lavoué




“Allo... inspecteur La Bavure? Je ne vous dérange pas?”
“Vous savez quelle heure il est, Ouatson?”
“Euh... non chef, ma montre est givrée”
“Hein? Et bien dégivrez ou rencardez-vous, mon vieux et vous comprendrez à quel point vous me dérangez!”
“Ça va pas être possible, chef”
“Et pourquoi ça?”
“Parce que je suis enfermé, chef”
“Demandez à Ouatelse de vous ouvrir, Bon Dieu!”
“Ça va pas être possible, chef”
“Arrêtez de répéter toujours la même chose, Ouatson! Où est-elle encore fourrée celle-là?”

Ouatelse avait été recrutée deux ans auparavant, plutôt bien roulée et autant bourrée d'arguments d'embauche que dénuée de tout jugement.
“Euh... elle est enfermée avec moi, chef”
“Comment ça?”
“Et bien il y a eu comme un courant d'air et puis la porte s'est refermée sur nous, chef”
“Mais vous êtes bouclés dans quel endroit pour pas pouvoir sortir?”
“C'est un endroit bizarre, chef, un peu comme un cimetière... c'est tout noir et ça caille. La porte est fermée et malgré tout on ressent toujours ce foutu courant d'air froid qui vous glace les...”
“Passez-moi les détails. Vous seriez pas plutôt dans un frigo?”
“Euh... en tout cas ça sent la mort, chef... Hein Ouatelse que ça sent la bidoche?”

Chez les assistantes du 36 Quai des Oeufs frais, on n'a pas l'habitude de débiner les collègues, sauf pour l'avancement.
“Affirmatif, inspecteur! Comme dit Ouatson, ça sent la bidoche, moi je dirais plutôt que ça sent le chien mouillé... j'ai eu autrefois un chihuahua qui sentait comme...”
“Ça suffit! Dites donc Ouatson, vous m'appelez avec quoi? Y a un téléphone mural dans vot' frigo?”
“Non chef! J'appelle avec le portable de service”
“Dites mon vieux, le portable de service ne donne pas l'heure? Y fait pas un peu de lumière? Y permet pas d'localiser l'endroit où vous êtes et d'appeler le proprio du frigo ou n'importe qui d'autre que moi à trois plombes du mat?”
“Euh... vous me cueillez à froid, chef... et puis j'ai les doigts gelés. Juste de quoi appeler votre domicile sans vouloir vous déranger”
“C'est fait mon vieux. Et Ouatelse, elle a aussi les doigts gelés?”
“Oui, enfin non chef, plus maintenant... vu qu'elle réchauffe ses mains dans mes poches”
“Alors dites lui de récupérer ses doigts pour vous sortir de là. Moi, je retourne au pieu!!”
“Euh... Ça va pas être possible, chef”
“Comment ça? Ça va pas être possible que je retourne me pieuter?”
“J'ai pas dit ça, chef... ça ne va pas être possible à cause de ses ongles. Ouatelse a des ongles bien trop longs pour utiliser le clavier du portable de service”
“Ouais... des ongles longs et des idées courtes, je suis au courant! Démerdez-vous à vous localiser que je vous envoie une équipe, et fissa!”

On a beau être inspecteur principal au 36 Quai des Oeufs frais, cinq minutes d'attente dans une moitié de pyjama... ça vous fait monter la tension, le cholestérol et le diabète tout à la fois.
Il eut un geste circulaire sur les tableaux du salon. Il commençait à prendre racine, comme toutes ces croutes accrochées aux murs.

“Ça y est, chef! Vous ne devinerez jamais l'endroit où on est localisés, Ouatelse et moi! Ça fait froid dans le dos, chef”
“J'ai pas envie de jouer aux devinettes, Ouatson! Donnez-moi l'adresse que j'envoie la patrouille”
“Euh... f'est fez nous, fef” “Hein?”
“S'cusez... lèvres gercées, fef. L'endroit c'est chez nous”
“Quoi c'est chez nous?” “C'est à la boîte, chef... c'est indiqué 36 Quai des Oeufs frais”
 “Quoi? Vous êtes au 36? Mais y a pas de boucherie ni de frigo, attendez... à part la morgue du médico-légal!” “Ça doit être ça chef, l'odeur de bidoche... au moins les gars de la patrouille n'auront pas à aller bien loin”



Clic...

“Allo... inspecteur... inspecteur?”



samedi 15 août 2015

Nom d'une pipe

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration





Quand la lune sera pleine, toi et moi on prendra l'express de Jaipur.
Ça sera le jour qu'ils appellent Holika, ou Dulendhi - ou peut-être Dumardi, ça change tous les ans - et le train sera bondé comme d'habitude.
Non j'ai pas l'habitude, Germaine... mais dans tous les documentaires sur l'Inde, les trains sont bondés.
A quoi ça sert de réserver six mois à l'avance pour finir entassés avec des types avachis sur des sièges défoncés – ou le contraire, des types défoncés sur des siège avachis - avec une clim en panne et une putain d'odeur de diesel?
Passe-moi le shilom, Germaine.
On verra rien du paysage à cause de tous ces turbans et des mecs qui tombent du toit mais on n'est pas venus pour le paysage; on est là pour équilibrer nos chakras.
A la descente du train, tout le Rajasthan sera là - sans compter les touristes - pour cavaler vers leur “Stade de France”, le Royal Chaugan Stadium.
On se magnera le popotin entre les vaches et les Tuk-tuk mais pour avoir les meilleures places tu mettras autre chose que tes tongs!
Repasse-moi le shilom, Germaine.
Galant, je te prendrai sur mes épaules... ou plus simplement je te prendrai par la main - c'est Bollywood mais faut pas exagérer - y aura des turbans colorés à perte de vue jusqu'à la pagode de Krishna avec un drôle de petit nuage rose au dessus. Ça doit être ça le tantra, Germaine.
Dans tous les documentaires sur l'Inde, y'a des turbans colorés et des petits nuages roses.

En approchant du stade, ça sera encore plus le souk mais on entendra quand même la musique folklorique, les flûtes, les nagaras, les cymbales enfin tout le bazar comme sur le dépliant des voyagistes.
Tu voudras me faire une danse du ventre mais y'aura pas la place et puis c'est pas l'moment.
Bon sang! Refile-moi plutôt le shilom, Germaine.
Ça y est je les vois enfin, rassemblés dans le rond central dans leurs costumes de lumière, un troupeau couvert de pétales de roses, de savantes peintures roses, de draperies de soie et velours cousues de roses, de perles roses, de pendeloques roses...
Putain, ça disparait! Repasse-moi le shilom, Germaine.
Certains - ou plutôt certaines puisque c'est réservé aux femelles - ont aux pieds des chaînes de chevilles avec des clochettes comme leurs danseuses gitanes, d'autres ont des parapluies roses qui brillent au soleil - tu le vois le soleil indien, Germaine - et encore d'autres avec des défenses rosâtres.
Regarde celui-là, Germaine. Le plus grand avec un palanquin, un baldaquin, enfin un frusquin sur le dos. On dirait Hati, le colonel du Livre de la Jungle, c'est “elle” qui va gagner le concours!
Repasse-moi encore le shilom, Germaine.
Jamais vu une éléphante aussi rose!

Et maintenant tu es rose comme elle, de la tête aux pieds - comme si t'étais à poil - mais je ne te vois pas bien à cause de la fumée.
Qu'est-ce qui peut bien fumer comme ça, Germaine? T'as encore laissé une gamelle sur le feu?
Où ça une explosion? Quoi? Un orgasme?
Attends un peu Germaine, je suis en pleine méditation...


dimanche 9 août 2015

L'orgue de Barbarie pour les Nuls

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration







L'orgue de Barbarie est un instrument de la famille Tuyaux-de-poêle ou automatophones, astucieux croisement d'auto (ou caisse), de tomate et de francophone.

Le croisement peut se fait aussi avec un germanophone, un hispanophone, un néerlandophone ou n'importe quel trucophone, tout dépend de la nationalité du facteur qui construit l'orgue.

Quel que soit le facteur ou la factrice, l'orgue possède une boîte à vent, une boîte arrière, des soupapes, une grenouille-tomate (Dyscophus antongilii), une manivelle (pour démarrer) et des tuyaux (ou pots d'échappement), le tout reposant sur un sommier (ou châssis) bien utile pour le joueur d'orgue fatigué.

Une fois rodées, les soupapes sont attirées par leurs sièges, comme le joueur.

Les tuyaux sont en bois de chêne ou d'érable car si c'était un peuplier on obtiendrait des tuyaux tordus.

Si le tuyau est fermé, on l'appelle bourdon mais si le tuyau est ouvert on le peindra d'une autre couleur, comme le vélo du facteur qui peut être utilisé pour transporter l'orgue de Barbarie et véhiculer la chanson populaire faite de tous petits riens et qui s'en va et qui revient.



A l'arrière, la boîte arrière contient du carton perforé plié en zig-zag.

Le pliage des cartons est un métier de précision exercé par des ouvriers japonais: les origami (de ori, “plier” et kami, “carton”). Parmi eux on trouve des origamizig et des origamizag.

A l'avant, la boîte à vent contient du vent.

Lorsqu'il n'y a plus de vent, on actionne un soufflet pour remplir la boîte à vent, mais pendant le remplissage l'orgue ne joue pas d'air; on a coutume de dire: Soufflet n'est pas jouer.

La boîte à vent est pleine de vent lorsque la grenouille-tomate atteint le dernier barreau de l'échelle de Beaufort.

Un bon joueur d'orgue de Barbarie ne manque pas d'air.

Le joueur tape d'abord le carton en zig, puis il tape le carton en zag, puis à nouveau le carton en zig jusqu'à la fin des cartons.

La fin des cartons signifie la fin du morceau même s'il reste encore du vent dans la boîte à vent.

Une rayure sur le carton en zag ou sur le carton en zig provoque un canard, le fameux canard de Barbarie, reconnaissable à son Couac caractéristique: Curandero pour un hispanophone, Quacksalber pour un germanophone, Kwakzalver pour un néerlandophone et Cauoc pour un trucophone.

Plus le carton est perforé et plus il produit de sons, sauf s'il est trop perforé au point qu'il n'y ait plus de carton; dans ce cas il n'y a plus de son.

Tout l'art de l'orgue de Barbarie consiste à produire un maximum de sons, on appelle ça faire un carton.

Les grandes orgues de Barbarie - au pluriel pour les femelles mais singulier pour les mâles, ce qui est très singulier - créées au XVIIème siècle s'appellent des limonaires.

Les limonaires fonctionnent au jus de citron, à l'eau gazeuse (ou pas) et au sucre; ils distillent des airs sirupeux comme Vivaldi, Clayderman, Jeanpasse et Desmeilleurs.

Les premiers joueurs d'orgue de Barbarie étaient vikings et rouges comme Erik le rouge ou Sonja la rouge.

La confrérie des Joueurs-d'Orgue-en-Verlan pratiquaient le retour de manivelle.

Avant qu'il ne disparaisse, l'orgue de Barbarie gagne à être connu autant que l'orque de Barbara qui n' a rien à voir même si elle évolue aussi en zig-zag.





A venir: L'histoire du cervelas, astucieux croisement de cervelle de boeuf (Zervelatwurst en allemand)et de matelas à sommier Renaissance.








samedi 8 août 2015

Soupir... aïe

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration






Un ferronnier se languissait
soupirait à ses soupiraux
dédaignant forge et brasero
que sa voisine repoussait

Fou de chagrin et de douleur
entre l'enclume et le marteau
il la grillagea aussitôt
d'esses de volutes et de cœurs

Mais la belle ainsi que l'oiseau
en pinçant pour un damoiseau
chantait si bien au pigeonnier

que le plus beau des garde-corps
n'y changeait rien et plus encore
ainsi pâtit le ferronnier




jeudi 6 août 2015

Ennedi vs Ibiza

Publié sur le site MilEtUne








Je me voyais à l'ombre des grands acacias
ou au fond d'un canyon où les chameaux blatèrent
là où l'ocre des grès dessine des cratères
mais c'était sans compter sur cette Laetitia...

Elle qui ne jurait que par son Ibiza
ses boîtes surchauffées, sa musique electro
on s'était retrouvés à l'entrée du métro
moi Gore-Tex et rangers, et elle en camisa.

Nous avons bivouaqué à Denfert-Rochereau
ça sentait le mouflon, l'urine de taureau
un paumé de la nuit jouait fortissimo

Elle m'a dit «Ziva, j'attends David Guetta»
sa jupe était vulgaire et frisait l'attentat
La vie est un désert où la femme est chameau.