samedi 29 août 2015

Gueule de bois

Publié aux Défis Du Samedi








Je transpirais à grosses gouttes à tel point que je crus bien avoir pleuré.

Je repoussai une espèce de couverture laineuse qui pesait sur mes jambes et il y eut comme un jappement joyeux.

Une couverture qui baille passe encore mais qui aboie, c'est saugrenu et je mis ça sur le compte d'un excès de Champomy!
C'est vrai que la veille avec les potes on avait bien forcé sur le pommes-raisins pour fêter mes six ans; j'en connais même qui étaient allés vomir dans la salle de bains...

On aboyait et pourtant il n'y avait que des chats dans la maison.

J'ouvris les yeux tout à fait: la couverture laineuse était en fait un clébard, un drôle de croisement de West Highland white et de Saint-Bernard ou plus exactement de Saint-Maclou, une moquette frisottée un peu comme chez tante Huguette avec la même odeur de chien mouillé.

J'ignorais qui avait mis ce clebs dans ma chambre tout comme j'ignorais qui m'avait affublé d'un costume marin ringard et trop grand pour moi... à moins que j'aie tout oublié d'une soirée déguisée.



Bizarrement la chambre était éclairée par une lampe à abat-jour perchée sur une espèce de colonne corinthienne que n'aurait pas boudée mon arrière grand-mère.

Le mieux était encore de se rendormir en essayant d'oublier ce mauvais rêve mais - sans doute une facétie d'un antique designer grec - la lampe n'avait pas d'interrupteur et un furieux hennissement acheva de m'éveiller tout à fait.

Pourtant il n'y avait que des chats dans la maison. Je sais, je l'ai déjà dit mais si ça n'aide pas, ça ne peut pas faire de mal de s'en souvenir.

Le hennissement sortait d'un grand canasson qui venait de faire irruption devant moi, caracolant, ruant et freinant des quatre fers ou plutôt des quatre roulettes qui l'équipaient!

C'était un de ces bourrins moitié-carton-bouilli moitié-papier-mâché et monté sur chariot comme ce cheval de Troie dont on parlait dans les livres d'histoire.

Je me suis toujours demandé qui faisait bouillir le carton et combien de personnes s'embêtaient à mâcher du papier toute la journée pour nous fabriquer toutes ces cochonneries, mais là n'était pas le sujet à cet instant.



“Salut” dit-il dans un rire chevalin “je m'appelle Tornado”

Le seul Tornado que je connaissais et qui possédait les mêmes roulettes était celui que ma mère traînait de pièce en pièce à la recherche de moutons à aspirer!
Je parle d'une époque où les aspirateurs avaient des sacs et faisaient assez de bruit pour qu'on invente aussi les boules Qiès!

“Et moi, nom d'une pipe je suis Popeye” répliquai-je en tirant sur mon costume de petit marin.

“Certainement pas!” aboya le croisé West Highland-moquette “c'est moi qu'on appelle Popeye! Je suis né l'année des 'P' ”

L'année des pets... je réalisai que l'odeur devait venir de là.

J'avais du mal à imaginer un clebs mangeant des épinards aussi - l'ayant définitivement repoussé d'un grand coup de pied qui l'envoya sous le lit - je décidai d'enfourcher mon dada.

Le canasson avait dû oublier de serrer le frein à main car à mesure que j'enjambais sa selle de carton bouilli, il recula si brusquement qu'il renversa l'abat-jour athénien qui s'éteignit tandis que les Perses perçaient et que les Satrapes s'attrapaient... situation si rocambolesque qu'un auguste inconnu la décrivit ainsi.

Comme quoi on ne se méfiera jamais assez d'un cheval de Troie.



Plongé dans le noir complet - fuyant les Athéniens, les Perses et les Satrapes - je regagnai mon lit sous les hennissements moqueurs du cheval et les jappements étouffés du croisé West Highland-Saint-Maclou.

Un rai de lumière apparut soudain sous ma porte et je reconnus la voix de mes parents :”Vas-tu t'endormir à la fin?”



C'était juré. Demain, j'arrêterais le Champomy.









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